10h30 Cathédrale de Gap
Ce troisième dimanche du Carême a été choisi par l’Eglise Catholique en France, comme journée de prière et de mémoire pour les personnes victimes de violences et d’agressions sexuelles dans l’Eglise. J’ai eu l’occasion de revenir longuement sur ce drame dès l’automne 2018 dans une lettre pastorale « Pour une église déterminée », puis après la remise du rapport de la CIASE et enfin à l’occasion des décisions que nous évêques avons pris à Lourdes en novembre dernier. J’y reviens donc plus brièvement, avant de commenter la Parole que Dieu nous adresse aujourd’hui.
J’ai employé le mot de drame.
C’est d’abord un drame pour les personnes victimes. J’en ai rencontré un certain nombre et les conséquences sur leur vie sont pour la plupart très importantes. Comme membres souffrants de notre Eglise, elles ont la première place et nous ferons tout notre possible pour les aider. Le diocèse de Gap est en train de vendre un appartement sur Paris dont nous étions propriétaire, pour abonder le fond d’indemnisation et de réparation.
C’est aussi un drame pour les auteurs de ces abus. Dans nos mesures adoptées à Lourdes, il y a des mesures d’accompagnement des auteurs, en plus bien sûr des mesures de prévention. Ce sont des frères prêtres, diacres, religieux et religieuses, laïcs en mission ecclésiale, certes coupables, mais ils sont nos frères et soeurs, dont nous prenons soin.
C’est également un drame pour tous les prêtres ; l’ignominie de quelques uns retombant sur tous les saints prêtres de notre église, et également sur nous les évêques. De plus en plus, je le comprends comme une croix à porter, qui sera féconde ; y compris en terme de vocations, car c’est la sainteté du clergé qui en ressort nécessaire.
C’est enfin un drame pour toute l’Eglise, et même plus largement un drame qui nous dépasse, car il atteint la société entière – ce qui ne diminue pas notre responsabilité propre. J’ai été frappé comment Mr Sauvé, le président de la CIASE, à la fin de la présentation de son rapport, a passé le relais à la CIVISE, Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants. Ce drame dans les familles est innombrable, et cela existe aussi dans nos familles chrétiennes. Les Association Familiales Catholiques en ont bien pris conscience et propose des outils sur leur site. (Je rêve de relancer les AFC sur le diocèse. Si vous entendez cela comme un appel, n’hésitez pas à me contacter.)
Ce troisième dimanche du Carême, alors que nous faisons mémoire de ces drames et que nous prions pour les personnes victimes, il me semble que la Parole de Dieu est un bel encouragement.
D’abord le choix de placer cette journée en Carême est cohérent, vu les appels à la conversion que nous y entendons. Les appels sont forts aujourd’hui encore :
– Dans la seconde lecture, saint Paul mentionne l’infidélité du peuple élu, dont l’histoire est bien connue des premiers chrétiens, et des habitants de Corinthe à qui il s’adresse : « la plupart n’ont pas su plaire à Dieu. Leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert. Ces événements devaient nous servir d’exemple, pour nous empêcher de désirer ce qui est mal comme l’ont fait ces gens-là. (…) Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple, et l’Écriture l’a raconté pour nous avertir, nous qui nous trouvons à la fin des temps. » Et la finale est terrible pour chacun d’entre nous qui nous pensons déjà saints : « Ainsi donc, celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber. »
– Dans l’évangile, Jésus répète deux fois : « si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Entendrons-nous frères et soeurs cet appel à la conversion ?
Nous le pouvons, nous le devons, car nous savons que Dieu est un Dieu de miséricorde, comme dans la parabole du vigneron magnanime que raconte Jésus : « Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir.
Sinon, tu le couperas. »
Cette miséricorde de Dieu est bien décrite dans cet épisode du buisson ardent. Ce très beau passage de l’Exode nous découvre le coeur miséricordieux du Père : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple … j’ai entendu ses cris … je connais ses souffrances … Je suis descendu pour le délivrer ». Aujourd’hui cela doit résonner particulièrement dans le coeur des personnes victimes d’abus.
Au mont Horeb, Moise sent que ce lieu est redoutable, Dieu l’oblige à retirer ses sandales, et Moïse saisit de crainte, se voile la face. La vertu de religion qu’il exerce, lui donne un sens aigu du Dieu Créateur, devant lequel seul geste possible est celui d’adoration. Face au buisson ardent, Moïse adore. On lit alors les abus comme un sacrilège. C’est la terre sainte d’une humanité qui a été violée.
Puis Dieu débordant de miséricorde envoie Moïse en mission : « Maintenant donc va ! Je t’envoie chez Pharaon. » Moïse s’effraie, avec une attitude de recul qui curieusement n’est pas lue dans notre lecture liturgique mais que l’on trouve dans la Bible : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et faire sortir d’Egypte les fils d’Israël ? » L’assurance de la présence de Dieu à ses côtés ne suffit pas au prudent Moïse : « Mais s’ils me demandent ton nom ? » Audace de demander à Dieu son nom ! Cela révèle d’ailleurs qu’il ne connaît pas encore de l’intérieur Dieu. On ne demande son nom qu’à un inconnu. Dieu se révèle alors comme le créateur : « Je suis celui qui suit. » Dieu est le seul qui puisse se nommer ainsi, être subsistant en lui-même, d’une simplicité absolue ; Nous nous sommes par l’amour d’autres, nos parents. Dieu est de toute éternité. Jésus annonçant sa Passion et la Croix dira : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que Je Suis. » Jean 8/28. Le Christ, la Croix, réalisent pleinement la grande révélation de l’Horeb.
Frères et soeurs, en ce 3ème dimanche du Carême, jour de mémoire et de prière pour les personnes victimes d’abus, entendons l’appel à la conversion, entendons la révélation de la miséricorde de Dieu. Puissions nous comme Moïse faire un détour pour approcher de ce buisson ardent, du feu qui brûle sans consumer. C’est une invitation à l’adoration, à plonger dans le coeur ardent du Christ. Amen.