Cet article du Père Bertrand Gournay est paru dans la revue du diocèse d’Alger.
En octobre, pendant trois semaines, le pape François a animé un synode avec les évêques de l’Amazonie. L’Amazonie, immense territoire de l’Amérique du Sud, apparaît depuis l’espace comme l’opposé de notre Sahara : 5, 5 millions de km² (presque trois fois le territoire de l’Algérie) et autant de zones forestières que le Sahara comporte de sable et de roches nues. « Cœur biologique du monde », suivant les mots du pape François, l’Amazonie s’étend ainsi sur 9 pays et abrite 33 millions d’habitants dont 2, 5 millions sont indigènes, porteurs de traditions ancestrales et vivant en communion avec la forêt profonde. Outre la biodiversité du paysage et des agressions qu’il subit par une industrialisation agricole non contrôlée, les membres du synode ont voulu témoigner dans ce Synode de la richesse des traditions ancestrales des peuples qui le composent et proposer une pastorale adaptée à leurs besoins et demandes.
À l’issue de ces trois semaines, le pape François et les évêques d’Amazonie ont rédigé une déclaration dont le mot central est « conversion ». Pour le pape François, la terre, notre terre, celle que nous recevons chaque jour de Dieu pour nous apporter nourriture et poésie est notre « maison commune ». Cette Déclaration synodale reprend les termes utilisés dans la Lettre apostolique Laudato Si (2015) rappelant la manière dont saint François d’Assise chantait la beauté de la Création de Dieu : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe, … ». Or, cette maison commune est aujourd’hui menacée par l’activité humaine, déplorait le pape François dans sa Lettre de 2015 : « Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. » C’est pourquoi, dans cette dernière déclaration datée au 26 octobre 2019 autour du devenir de l’Amazonie, le Pape François et les évêques d’Amazonie réaffirment l’engagement de l’Église catholique dans ce grand combat pour une prise de conscience de tous sur les dangers de « poursuivre des modèles de production prédateurs » (p. 3).
Le document invite chacun à vivre une réelle et nécessaire « conversion » dans son rapport à la nature. Et, appliqué à cet immense espace naturel qu’est l’Amazonie, il s’agit de regarder bien avec lucidité les « défis et le potentiel » de cette région vitale pour les hommes du monde entier.
Cinq « conversions » sont à vivre de manière urgente, souligne cette Déclaration :
- Une conversion intégrale : Elle invite chacun à adopter « une vie simple et sobre », en relation avec le souci de respecter « l’œuvre créatrice de Dieu » notre « maison commune ». Les peuples traditionnels de l’Amazonie ont conservé des modes de vie adaptés à la nature et les membres de l’Église gagneront d’adopter ce « bien vivre et bien agir » des sociétés traditionnelles d’Amazonie. L’Église a aussi le devoir de se rapprocher des victimes de déplacements forcés de populations indigènes vers les centres urbains et hors des frontières.
- Une conversion pastorale : S’appuyant sur le témoignage de la Samaritaine, l’Église en Amazonie se doit d’être ouverte à tous, nourrie des exemples de ses nombreux martyrs. Si ces derniers étaient porteurs d’un modèle étranger aux cultures des sociétés traditionnelles, à présent, « l’Amazonie doit être évangélisée par l’Amazonie ». Les jeunes étant les principales victimes de modes de vie inadaptés à leurs milieux ordinaires, l’Église est appelée à écouter leur mal-être en mettant en place « une pastorale des jeunes renouvelée et audacieuse ». Au-delà des jeunes, la conversion pastorale est celle d’une ouverture aux religions traditionnelles, démarche interreligieuse nécessaire dans un monde multiculturel. Sur ce chemin pastoral, le pape salue le travail des « communautés de base » comme « un don de Dieu aux Églises locales de l’Amazonie ».
- Conversion culturelle. Les peuples autochtones d’Amazonie doivent pouvoir compter sur l’Église comme alliée de leurs traditions. Elle se met à leurs côtés pour lutter contre les ethnocides et, « contre les prédateurs » de toutes sortes, participer devant les états à la défense des droits des propriétaires traditionnels sur leurs terres ancestrales. En outre, cette déclaration finale reconnaît aussi l’importance de « la foi populaire » à accompagner comme « théologie indienne » au sein de la théologie catholique.
- Conversion écologique. Celle-ci est bien sûr à mettre en lien avec les conséquences des destructions causées à la nature dans cette région spécifique de la « Maison commune ». L’Église veut être du côté des victimes des violences actuelles subies par les peuples d’Amazonie : un appel à « désapprendre, apprendre et réapprendre afin de surmonter toute tendance à reproduire les modèles coloniaux qui ont causé des dommages dans le passé ». Cet appel à une « conversion écologique » interroge les modes actuels de production industrielle et les habitudes de consommation (celle de la viande notamment, est-il souligné !). Un « observatoire social et pastoral » est donc nécessaire reconnaissent les Pères synodaux et celui-ci pourra s’appuyer sur les institutions caritatives ou les commissions déjà en place et actives en Amérique du Sud comme le Celam, le Clar ou la Caritas) ou sur le réseau des Églises locales.
- Nouvelles voies de conversion synodales. Les différentes « conversions » réclamées par les pères synodaux de l’Amazonie conduisent à vivre autrement la « synodalité » : le dialogue et le partage des tâches dans l’Église même : « La participation des laïcs, tant dans la consultation que dans la prise de décision, à la vie et à la mission de l’Église devrait être renforcée et élargie à partir de la promotion et de la délégation de « ministères aux hommes et aux femmes de manière équitable » Les évêques d’Amazonie ont pris la mesure de la difficulté d’offrir une vie sacramentelle aux populations les plus isolées. Devant cette situation, ils déclarent : « L’évêque peut confier, avec un mandat à durée déterminée, en l’absence de prêtres, l’exercice de la pastorale des communautés à une personne non investie du caractère sacerdotal (…). La responsabilité de la communauté restant du ressort du prêtre. ». Sans aller jusqu’au « diaconat permanent » pour les femmes, le Synode déclare « qu’un ministère établi des femmes comme leaders communautaires est nécessaire. » Il s’agirait alors d’un ministère institué. Et toujours considérant l’isolement de communautés chrétiennes et la difficulté liée à cet isolement de recevoir les sacrements, la Déclaration Finale de ce Synode amazonien propose « d’établir des critères et des dispositions par l’autorité compétente, d’ordonner des prêtres appropriés et reconnus de la communauté qui ont un diaconat permanent fécond et reçoivent une formation adéquate pour le sacerdoce, pouvant avoir une famille légitimement constituée et stable, pour soutenir la vie de la communauté chrétienne par la prédication de la Parole et la célébration des sacrements dans les zones les plus reculées de la région amazonienne ».
Ces cinq propositions ouvrent beaucoup de voies nouvelles et d’appels à des conversions multiples. Elles permettent surtout de découvrir les particularités d’une Église amazonienne soucieuse, derrière le pape François, de se mettre le mieux possible à l’écoute des besoins spirituels et sociaux des peuples qui vivent dans ce territoire. La déclaration finale s’achève sur la possibilité d’accueillir un 24e rite au sein de l’Église catholique : le rite « amazonien ». Ainsi les cultures traditionnelles, ancestrales seront mieux associées à la vie de l’Église et, inversement, l’Église entière en sera vivifiée et enrichie.
Bertrand Gournay