Permettez-moi d’ouvrir cette Assemblée avec
Je suis frappé, chaque année, au moment de l’appel décisif des catéchumènes, de voir avec quelle force et quelle justesse bien des adultes qui demandent le baptême nous parlent de cette vie nouvelle qui transforme au jour le jour leur existence. Ils ont expérimenté, dans cet accueil personnel
Fraternité et confiance, dons du Ressuscité
Deux
I. Les futures échéances électorales, une occasion de réfléchir sur notre société
Nous sommes entrés dans la période de préparation d’échéances électorales importantes pour notre pays. Officiellement, la campagne n’est pas encore ouverte. Pourtant, nous sommes déjà, de fait, en pleine campagne électorale ! Il n’est pas dans la mission de l’
Un déficit de fraternité ?
La fraternité fait partie, avec la liberté et l’égalité, des valeurs fondatrices de la République. Mais n’assistons-nous pas aujourd’hui à un déficit de fraternité ? Dans une société où une économie de consommation exacerbe les besoins de l’individu, nous risquons de ne voir s’exprimer que la défense des intérêts individuels, voire catégoriels. On défendra plus ses droits qu’on n’obéira à ses devoirs. La perspective du bien commun, avec les sacrifices et les ajustements qu’il exige, court le risque d’être oubliée. Dans sa déclaration Réhabiliter la politique, la Commission sociale des évêques
Il est, bien sûr, du rôle de l’Etat de veiller au bien commun. Il revient aux hommes politiques de proposer un projet mobilisateur pour la nation. Mais il ne faut pas tout attendre de l’Etat. Dans une vie démocratique, chacun doit être attentif au bien commun et artisan de fraternité. A quoi sert-il de dénoncer la constitution de ghettos dans de grands ensembles si personne ne veut, dans son voisinage, des familles en grande difficulté ou des populations immigrées ? Comment peut-on tout à la fois souligner l’absolue nécessité de biens collectifs comme une autoroute ou le contournement d’une ville et refuser unanimement que leur réalisation passe près de chez soi ?
La fraternité n’a pas de frontière. Certes, un citoyen est invité à aimer son pays, à y vivre concrètement cette fraternité. Le cardinal Roger Etchegaray disait fort justement : « Il trompe et se trompe celui qui prétend aimer les peuples lointains avec lesquels il ne vit pas et n’aime point son propre pays auquel il se frotte chaque jour » (Homélie de la Messe pour
Contre le fatalisme et la peur, la confiance
Notre vie démocratique risque d’être marquée, non seulement par un déficit de fraternité, mais aussi par un déficit de confiance. Plusieurs observateurs et sociologues ont pu parler de notre société comme d’une société de défiance. Tout d’abord, nous constatons souvent une défiance vis-à-vis de l’avenir. La notion de risque a pris le pas sur celle de progrès, le principe de précaution sur celui de transformation. La conviction qu’on pouvait faire des prévisions économiques à moyen ou à long terme décline. Certains sont aussi tentés par une défiance concernant le politique. Ils doutent du désintéressement des hommes politiques, du sérieux des promesses électorales souvent démenties dans les faits, de la marge de transformation possible de notre société par nos gouvernants.
Désintérêt, fort taux d’abstention de vote, réduction des enjeux politiques à une « politique spectacle », réactions populistes risquent de marquer, chez nous, comme d’ailleurs dans d’autres pays d’Europe, notre vie démocratique. Pourquoi s’engager si on est marqué par le fatalisme, si on croit que rien ne changera vraiment, si on pense que le divorce, le chômage, la pauvreté sont des réalités contre lesquelles il est inutile de lutter ?
Le fatalisme peut parfois s’accompagner d’un sentiment de peur. Certes, il y a bien des raisons de s’inquiéter devant la violence dans certaines banlieues, le terrorisme international, l’utilisation du religieux par des forces extrémistes, la destruction de notre environnement, les difficultés de transmission de notre savoir et de nos valeurs aux générations qui montent.
Mais il est dangereux de passer de l’inquiétude à la peur. L’homme qui a peur n’a plus de distance intérieure face aux événements. Sa raison et ses choix politiques risquent d’être soumis au diktat de ses émotions, de son angoisse ou de son agressivité. Il est prêt alors à toutes les aventures. La confiance intérieure permet au contraire de prendre du recul, d’analyser les situations plus rationnellement, de rester ouvert à cette dynamique du souci du frère si importante pour notre société. Face au fatalisme, la confiance fait naître l’espérance. Elle sait qu’il y a un avenir pour l’homme et que l’engagement de tous dans la préparation de cet avenir est aussi souhaitable qu’indispensable.
Soutenir le mariage et la famille
Dans le Message du Conseil permanent dont je viens de parler trois principaux chantiers de la fraternité ont été retenus
La famille est un des lieux majeurs où peut grandir la confiance. C’est vrai pour les époux. C’est vrai pour les enfants. Cela implique des familles stables. Il s’agit là d’un élément fondateur de notre société. Il est donc important que notre législation défende le statut du mariage et que l’Etat soutienne les familles. On ne peut que les fragiliser si on admet des modèles pluriels d’unions et de familles, si on pense que tous se valent et qu’il faut aujourd’hui s’aligner sur la pluralité de fait des situations. Un enfant a le droit de vivre avec un père et une mère dans un foyer stable. En disant cela, nous ne défendons pas une image passéiste de la famille mais nous tirons la sonnette d’alarme à partir de notre expérience de pasteurs. Il ne s’agit pas, pour nous, de condamner les personnes qui divorcent ni de dire que tous les enfants de personnes divorcées sont traumatisés. Mais nous voulons attirer l’attention, par les confidences d’enfants et de jeunes que nous recevons, sur le fait que le divorce de leurs parents est souvent pour eux une source de souffrances vives, de déstabilisation personnelle et de perte de confiance. Notre société est-elle suffisamment attentive à la souffrance des enfants du divorce ? N’a-t-elle pas tendance à la minimiser ? C’est toute une réflexion qui est à poursuivre à ce sujet. En lien avec ces questions, notre Assemblée nous fournira l’occasion, avec l’étude du dossier intitulé Trois différences structurantes de la vie sociale : homme/femme, père/mère, frère/sœur d’approfondir de façon interdisciplinaire nos convictions anthropologiques et de partager nos expériences pastorales.
II. Confiance et assurance dans notre vie ecclésiale
Notre vie ecclésiale n’est pas exempte d’inquiétudes, elle non plus. Nous sentons que se poursuit un mouvement profond de sécularisation dans notre société. L’appartenance à la vie ecclésiale diminue et beaucoup n’ont plus automatiquement de références chrétiennes. Des courants d’opinion relègueraient volontiers le christianisme dans la pure sphère du privé et de l’intime. Le pluralisme religieux inquiète, surtout quand on le met en relation avec des phénomènes terroristes ou avec les persécutions de chrétiens de par le monde.
Beaucoup s’interrogent : quel sera l’avenir du ministère presbytéral en France, de nos communautés, de nos paroisses ? Quelle fidélité de l’Enseignement catholique à sa propre mission ? L’Enseignement supérieur catholique aura-t-il dans les années qui viennent les moyens de relever les défis qu’aujourd’hui il rencontre ? Quelle communion dans la foi et la charité fraternelle avec des catholiques qui ont quitté durant des années la famille ecclésiale ? Le Concile Vatican II reste-t-il toujours cette « boussole » guidant la marche de l’Eglise, dont parlait le pape Jean-Paul II ?
Les inquiétudes ne manquent pas. Ce sont des questions qu’il faut prendre au sérieux. Mais il est important de ne pas se laisser habiter par la peur. Celle-ci nous fait percevoir le monde d’une manière catastrophiste. Elle facilite le complexe du persécuté, la tentation de la forteresse assiégée, le repli sur un « pré carré catholique » qu’il s’agit de défendre et de préserver. Celui qui a peur est prêt à sauter sur la moindre suggestion pastorale proposée, surtout s’il a l’impression qu’elle le sécurise et lui donne l’espoir de pouvoir faire disparaître la cause de ce qui l’angoisse. Ce n’est pas ainsi que notre Eglise en France veut se situer.
Ceux qui sont disciples
Le travail du Comité Etudes et Projets
En novembre dernier, nous avions mandaté le Comité Etudes et Projets pour constituer trois groupes de travail sur les thèmes retenus par notre Assemblée. Le premier groupe sur les Trois différences structurantes de la vie sociale a terminé son travail et nous présente aujourd’hui le résultat de sa réflexion. Je souhaite remercier vivement, au nom de notre Conférence, tous ceux et celles qui, au titre de leurs diverses compétences, nous ont aidés dans l’élaboration de ce dossier. Les deux autres groupes sur L’enseignement catholique en
L’Enseignement catholique en France
On peut toujours se plaindre de la loi Debré du 31 décembre 1959 et de ses contraintes. Si elle n’existait pas, l’Enseignement catholique en France poserait moins de questions, tant sa surface serait réduite et sa réalité devenue confidentielle. Près de cinquante ans après, il est bon pourtant de faire le point. Notre enseignement est-il toujours pleinement fidèle à sa mission ? Comment s’articulent, dans sa proposition, le souci éducatif de chaque enfant, le respect de sa liberté personnelle et l’annonce de la Bonne nouvelle
Les ministères des prêtres et la vie des communautés chrétiennes
Les prêtres portent fortement aujourd’hui le poids du jour. J’admire leur présence pastorale et leur dévouement apostolique, malgré la lassitude et la fatigue qu’ils peuvent ressentir certains jours. Que pourrions-nous faire sans ces premiers collaborateurs dans le ministère apostolique ? Je crois important de réfléchir à nouveaux frais avec eux sur leurs conditions de vie et sur celles de l’exercice de leur ministère. Moins nombreux, ils ont une responsabilité de plus en plus lourde, sur un territoire de plus en plus vaste. Face à une situation de sécularisation avancée, ils ressentent fortement les difficultés de demandes sacramentelles qui n’ont pas été précédées par une première évangélisation. Ils se demandent comment rester proches de ce peuple dont ils sont les pasteurs. Ils souhaitent pouvoir trouver du temps pour souffler, se ressourcer, continuer à se former.
Il est important d’entendre ces interrogations. Nous ne pourrons y répondre qu’en les mettant en relation avec celles de la vie des communautés chrétiennes, de leur animation, de leur avenir, des initiatives que nous prenons pour soutenir leur vitalité et leur dynamisme missionnaire. C’est bien à un véritable travail à faire, de lucidité, de discernement et d’imagination pastorale, que nous sommes appelés.
III. Notre Eglise changerait-elle de cap ?
En avril dernier, nous avions souhaité poursuivre, lors de cette Assemblée de novembre, notre réflexion sur l’accueil des prêtres et des fidèles traditionnalistes dans l’Eglise. L’actualité
Certains se sont demandé si cet accueil de groupes ayant toujours refusé l’enseignement du Concile Vatican II et sa réforme liturgique ne venait pas relativiser les orientations conciliaires et remettre en question tout le travail apostolique fait sur le terrain depuis une quarantaine d’années. Les évêques des provinces de Rouen et de Besançon ont senti le besoin de répondre à l’interrogation de beaucoup par une lettre ou un communiqué qu’ils ont rendus publics. Il nous faudra prendre du temps en Assemblée pour revenir et échanger sur tout cela. Il sera intéressant d’entendre sur cette question quelqu’un qui est plus à distance de la situation française, le
Revenant à notre sujet, je voudrais faire trois remarques :
1. La décision de libéraliser pour les prêtres la possibilité de dire la messe selon le missel de 1962 n’a pas encore été prise. Le Motu proprio annoncé n’a pas été signé. Son projet va faire l’objet de consultations diverses. Nous pouvons faire part, dès maintenant, de nos craintes et de nos souhaits.
2. Ce projet ne s’inscrit pas dans une volonté de critiquer le missel dit de « Paul VI » ni de procéder à une réforme de la réforme liturgique. Les livres liturgiques rédigés et promulgués à la suite du Concile sont la forme ordinaire et donc habituelle du rite romain. Ce projet s’origine plutôt dans le désir de Benoît XVI de faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin au schisme lefevbriste. Il sait que plus les années passent, plus les relations se distendent et les positions se durcissent. Devant l’histoire des grands schismes, on peut toujours se demander s’il n’y a pas eu des occasions manquées de rapprochement. Le Pape souhaite faire son possible pour que la main soit tendue et qu’un accueil soit manifesté, au moins à ceux qui sont de bonne volonté et qui manifestent un profond désir de communion. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre ce projet de Motu proprio.
3. L’accueil de quelques-uns dans la communion ecclésiale ne saurait remettre en question le travail pastoral de l’ensemble. Non, l’Eglise ne change pas de cap. Contrairement aux intentions que certains lui prêtent, le pape Benoît XVI n’entend pas revenir sur le cap que le Concile Vatican II a donné à l’Eglise. Il s’y est engagé solennellement.
Dès son élection, il affirmait : « A juste titre, le Pape Jean-Paul II a indiqué le Concile Vatican II comme une "boussole" selon laquelle nous pouvons nous orienter dans le vaste océan du troisième Millénaire (cf. Lettre apostolique Novo millennio ineunte, 57-58). Et il notait aussi dans son Testament spirituel : "Je suis convaincu que longtemps encore il sera donné aux nouvelles générations de puiser dans les richesses que ce Concile du XXe siècle nous a prodiguées" (17 mars 2000). Par conséquent, moi aussi, tandis que je me prépare à accomplir le service qui est celui du Successeur
Dans son discours à la Curie romaine où il critique un faux « esprit du Concile », le Pape déclare : « Quarante ans après le Concile, nous pouvons souligner que le positif est plus grand et plus vivant que ce qu’il paraissait dans l’agitation des années 1968. Nous voyons aujourd’hui que la bonne semence, tout en se développant lentement, grandit cependant, et ainsi grandit aussi notre profonde gratitude pour l’œuvre accomplie par le Concile » (DC n° 2350, p. 60). Ces paroles méritent d’être entendues.
Je crois qu’il ne faut pas être habité aujourd’hui par la crainte et la peur. Là aussi, vivons la confiance. Pourquoi les événements récents ne seraient-ils pas l’occasion, pour nous en France, de faire une relecture paisible de notre réception du Concile, d’en relire les grands textes fondateurs, d’en saisir à nouveaux frais les grandes intuitions et d’en repérer les points qui méritent encore d’être pris en compte ? Ce n’est pas à une lecture idéologique
Entrons donc maintenant dans notre travail d’Assemblée en nous laissant guider par le Seigneur. Appuyons-nous sur celui qui vient vers les siens et leur dit : « Confiance ! C’est moi, n’ayez pas peur ! » (Mt 14, 27).
Cardinal Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des évêques de France