Ils ont vu « L’apparition »

Le film L’apparition, sorti officiellement le mercredi 14 février 2018 avait bénéficié d’une avant-première dans les Hautes-Alpes à Embrun, Laragne et Gap.

Voici les avis de trois habitants de Gap qui ont vu le film lors de l’avant-première.

Père Pierre Fournier, vous avez vu le film en avant-première. Que pouvez-vous nous en dire ?

Ce film L’apparition a été réalisé en grande partie sur notre diocèse avec le célèbre acteur Vincent Lindon. Dans le générique le réalisateur remercie explicitement le diocèse, Mgr Jean-Michel di Falco Léandri, Wiktor Zamojski, Thierry Paillard et le père Sébastien Dubois. De fait, grâce à eux le film a été tourné dans les Hautes-Alpes, des objets liturgiques ont été prêtés pour les scènes tournées dans l’ancienne chapelle de la Providence à Gap, des laïcs haut-alpins, des religieuses (Notre-Dame de La Salette), tel ou tel prêtre ou diacre, ont pu faire partie des figurants pour les scènes tournées à Gap, à La Roche-des-Arnauds, dans le Dévoluy, au Collet d’Ancelle, à Savines-le-Lac, à Châteauroux-les-Alpes…

Le réalisateur, Xavier Giannoli, souhaitait aborder un thème touchant la foi. Bien sûr, l’histoire fait penser à Benoîte Rencurel et aux apparitions à Notre-Dame-du-Laus, d’autant plus qu’au début du film on trouve son nom cité sur une liste d’apparitions officiellement reconnues. On voit aussi la couverture du livre de Joachim Bouflet Les faussaires de Dieu qui étudie des cas où des apparitions se sont révélées fausses, et cette étude mentionne, entre autres, celui d’une jeune bergère de Corréo disant, en 1666, avoir des apparitions de la Vierge, et Benoîte Rencurel elle-même, venue sur place, n’avait pas conclu positivement.

Dans le film L’Apparition, Anna, une jeune fille de dix-huit ans, du sud-est de la France, dit avoir des apparitions de la Vierge, et de nombreux pèlerins viennent sur les lieux. Le Vatican fait appel à Jacques Mayano (Vincent Lindon), reporter de guerre, pour diligenter une « enquête canonique ». Jacques rejoint l’équipe déjà en train d’enquêter sur la vérité de ces apparitions. Interrogée, Anna répond sobrement. On la voit postulante dans une communauté de religieuses, plongée dans la prière lors des offices, ou participant au travail quotidien. On la voit aussi, régulièrement, sur les lieux de l’apparition, près d’une grande statue de la Vierge, et, sous le grand chapiteau où se presse la foule chantant de fervents « Ave Maria ». Le prêtre qui accompagne Anna la soutient dans sa prière et dans son énonciation des messages de la Vierge. Il proclame ses propres exhortations, comme la dénonciation de « l’indifférence qui se déploie tant dans notre société ».

Des apparitions ? Jacques « veut des preuves ». Il enquête mais Anna reste un mystère pour lui. Il relève qu’elle est née sous X, qu’elle a été dans une première famille d’accueil, puis dans une seconde famille où elle s’est montrée proche d’une amie, Mériem. Le spectateur voit aussi se creuser le combat d’Anna quand elle refuse de manger ce qui lui est apporté, quand elle est allongée au sol les bras en croix, quand elle se recroqueville dans son lit… Un combat qui devient un long tourment. Nous ne révélerons pas l’issue de l’enquête pour garder le suspense. On peut dire cependant que la fin se passe au Moyen-Orient. Jacques y rapporte une icône en partie brûlée dans une région près de la Syrie et de l’Irak, dans le désert, où se trouve une église fermée. Lentement, Jacques passe la main sur le mur de l’église, comme le faisait Anna à une chapelle en France. Symbole d’un mur devant lequel l’être humain voit se heurter sa recherche et sa destinée ?… Il regarde par la fente de la porte fermée. Symbole de l’effort de l’être humain pour trouver quelque lumière ? ici, auprès de cette maison de Dieu ?… Il dépose l’icône sur le seuil de la porte fermée, et se recueille dans le silence au cœur de ce désert. Symbole de l’être humain confronté au dépouillement de quelque désert intérieur et espérant un appui de la part de la Vierge ?… Jacques envoie son rapport d’enquête canonique au Vatican, qui statuera.

Dans ce film, le thème de l’apparition est traité avec respect. Tout au long se manifeste le regard d’Anna, souvent circonspect, tandis que le regard de Jacques est très intense, sans cesse mobile, interrogeant avec insistance Anna ainsi que ses autres interlocuteurs. Le regard de l’être humain qui exprime l’intérêt non seulement pour des « preuves », mais aussi pour une exploration de la vérité de la vie spirituelle, des réalités surnaturelles, de la relation à Dieu. Le mystère de l’existence humaine, de l’invisible, de la foi…

On a envie de revoir le film, très élaboré, pour en suivre les divers cheminements.

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Question à Luc-André Biarnais, archiviste du diocèse. Il est question d’enquête, de plongée dans des archives dans ce film. Votre regard d’archiviste sur ces scènes ?

Dans les enquêtes canoniques, l’Église fonde ses recherches sur des témoignages qui, très souvent, sont écrits. Dès que Jacques Mayano, journaliste héros du film, reçoit comme mission d’enquêter, il consulte les archives « de l’ancien Saint-Office ». Là, la protection des documents, « très précieux » dit l’archiviste au sujet d’un témoignage sur les apparitions de la Vierge Marie à L’Île-Bouchard (1947), se caractérise par une interdiction de toucher les documents. Celle-ci est, d’ailleurs, rendue paradoxale dans le plan suivant, lorsque l’un des protagonistes propose un café, certes dans un autre lieu : boissons et nourriture sont prohibées dans les salles de lecture.
À la fin du film, un magasin de conservation est présenté, clair, aéré, propre. Les boîtes d’archives, normalisées, sont rangées et étiquetées pour pouvoir être retrouvées : c’est la condition pour pouvoir écrire l’histoire des apparitions.

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Thierry Paillard, vous aviez lu le scénario, vous avez été présent lors du tournage de certaines scènes, vous avez vu le film. Votre avis ?

Oui, j’ai eu la chance de pouvoir lire le scénario, d’être présent sur le plateau pour certaines scènes, et de voir le produit fini. J’ai pu prendre conscience de ce que m’a dit durant le tournage le premier assistant du réalisateur Xavier Giannoli, à savoir qu’il y a trois phases d’écriture pour un film : le scénario, le tournage, le montage. Des scènes qui se trouvaient dans le scénario n’ont pas été tournées, d’autres ont été tournées mais pas montées, et d’autres à l’inverse ont été tournées et montées qui ne se trouvaient pas à l’origine dans le scénario. Xavier Giannoli a donné plus de densité aux scènes dans le couvent que ce n’était dans le scénario, en mettant par exemple sur les lèvres d’Anna en prière une superbe prière. Elle correspond si bien à Anna qu’on la croit d’elle. Elle est en réalité de saint Jean de la Croix.

Ce qui m’a frappé aussi, c’est que les quelques petites incohérences du scénario ne se voient pas à l’écran alors même qu’elles sont encore présentes. Xavier Giannoli me disait qu’un film respirait par ses imperfections. J’ai pu constater que cela était vrai. En présence d’images, l’esprit critique baisse la garde, l’imaginaire prend le dessus. On se laisse porter par l’histoire. On est porté à croire à ce qui nous est donné de voir. Comme les images sont belles et que le film sonne juste, on y est, on y croit.

En faisant enquêter un journaliste étranger aux questions d’apparitions, Xavier Giannolui a réussi le tour de force de ne pas prendre position pour ou contre ces phénomènes, mais à montrer ce qu’ils suscitent d’émotion, de manipulation, de bouleversement, dans les cercles plus ou moins proches des « voyants ». En ce sens, le film relève du documentaire.
Mais il a fait plus encore que cela. Il présente une histoire avec des dénouements et des dénuements humains. Il laisse le spectateur dans la position dans laquelle Jacques (Vincent Lindon) laisse l’évêque à la fin. Je cite grosso modo : « Voici les faits, à vous de décider ce que vous en faites. Moi je vous remercie pour cette enquête qui m’a fait me poser des questions sans pour autant m’apporter des réponses, qui m’a mis au seuil d’un monde que je ne connaissais pas. Les âmes ont leur monde et je ne savais rien de ce monde. »

À la sortie du film je me suis dit que nous passions constamment à côté de mondes sans les voir. Xavier Giannoli nous présente cette coexistence de plusieurs mondes en notre monde : l’occidental et l’oriental, celui de la preuve et celui de la foi, de la rationalité et de la piété, de l’innocence et de la duplicité, du couvent et du consumérisme, de l’urbain et du rural… Tous ces mondes sont au milieu de nous, à portée de clics, mais on ne passe pas nécessairement de l’un à l’autre. On ne fait pas le pas d’aller les découvrir. Jacques, lui, en vrai reporter, ne s’arrête pas aux clics de ses recherches sur internet. Il s’engage. Il enquête. Il part à la rencontre. Ce faisant, Xavier Giannoli nous invite à faire comme Jacques : à chercher ce qu’il y a derrière les apparences. Cette question du seuil et du passage – ou non – d’un monde à un autre, est omniprésente de le film par la présence des écrans, des portables, de portes, de grilles, de murs, de barreaux, de vitres, d’enveloppes, de tiroirs… Ils permettent ouverture, fermeture, transparence, opacité, passage… Ils nous font nous poser la question : et moi dans tout cela, quel seuil ai-je à franchir pour plus de vie et de sens dans la vie ?

Avec un tel sujet, il était facile de tomber dans le style saint-sulpicien, dans la niaiserie, la guimauve, le vulgaire… Xavier Giannoli a apporté un mélange étonnant et détonant de grâce et de densité humaine. Merci à lui et à ses acteurs.

À méditer cette phrase du cardinal Roger Etchegaray : « L’Église ne cautionne jamais des voyants mais des croyants. » (Préface du Dictionnaire des «apparitions» de la Vierge Marie, publié sous la direction de René Laurentin et Patrick Sbalchiero)