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L’Eucharistie, repas pascal juif, avec Marie, art de vivre eucharistique – Homélie du Jeudi Saint

Messe de la Cène en la Cathédrale de Gap 

En ce Triduum pascal de notre année mariale diocésaine, je voudrais à travers mes 4 homélies (ce soir, demain vendredi saint, et les deux messes de la Vigile et du jour de Pâques), contempler Jésus dans sa passion avec Marie.  Car « personne ne s’est adonné à la contemplation du visage du Christ avec autant d’assiduité que Marie » (RVM 10), disait Jean-Paul II dans sa lettre sur le Rosaire de la Vierge Marie, publiée en 2002 à l’occasion d’une année du Rosaire. À partir de la nativité, « son regard, toujours riche d’un étonnement d’adoration, ne se détachera plus de Lui. Ce sera parfois un regard interrogatif, comme dans l’épisode de sa perte au temple: « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela? » (Lc 2, 48); ce sera dans tous les cas un regard pénétrant, capable de lire dans l’intimité de Jésus, jusqu’à en percevoir les sentiments cachés et à en deviner les choix, comme à Cana (cf.Jn 2, 5) ; en d’autres occasions, ce sera un regard douloureux, surtout au pied de la croix, où il s’agira encore, d’une certaine manière, du regard d’une “femme qui accouche”, puisque Marie ne se limitera pas à partager la passion et la mort du Fils unique, mais qu’elle accueillera dans le disciple bien-aimé un nouveau fils qui lui sera confié (cf. Jn 19, 26-27); au matin de Pâques, ce sera un regard radieux en raison de la joie de la résurrection et, enfin, un regard ardent lié à l’effusion de l’Esprit au jour de la Pentecôte. » 

En cette année marquée par des confinements, notre rapport à l’Eucharistie a pu aussi se distendre, ou à l’inverse s’intensifier. Alors je voudrai vous aider à approfondir le sens de l’Eucharistie à la lumière de la Vierge Marie. Vous trouverez cela plus en détail dans la conférence de Carême que j’ai prononcée au Laus le dimanche des Rameaux, disponible sur le site internet du diocèse. Ce soir je parlerai surtout de l’Eucharistie comme banquet pascal, demain de l’Eucharistie comme sacrifice, à la vigile de Pâques de l’Eucharistie comme Résurrection, et le jour de Pâques de l’Eucharistie comme présence réelle. Mais tout est lié, ainsi le jeudi Saint, c’est déjà le sacrifice du vendredi anticipé, « voici mon sang versé pour vous », mais la liturgie m’invite à répartir mon propos entre ces 4 homélies !

Ce soir, nous faisons donc mémorial du dernier repas de Jésus avec ses disciples. Matthieu, Marc et Luc rapportent le récit de l’institution de l’Eucharistie, ainsi que St Paul, notre seconde lecture, tandis que St Jean que nous venons d’entendre fait le choix de mettre l’accent sur le lavement des pieds. Comme nous ne pouvons le vivre cette année, pour raisons sanitaires, je ne vais pas y revenir, mais vous aurez bientôt sur le site internet du diocèse la conférence qu’a prononcé mardi dernier aux prêtres et diacres, après la Messe Chrismale, frère Luc Devillers, dominicain à Boscodon, sur le lavement des pieds. C’est vraiment à lire.

Donc je reviens à l’institution de l’Eucharistie, repas pascal juif. Nous avons écouté dans le livre de l’Exode, le récit du dernier repas des juifs en Egypte avant de s’enfuir en passant la mer rouge. Le peuple hébreu subit une oppression toujours plus sanguinaire, puisque Pharaon en est venu à décider la mort de tous les petits hébreux. Dieu intervient et ordonne à Moïse de préparer un repas. Chaque famille doit se procurer un agneau, en répandre le sang sur les montants et linteaux des portes des maisons. « Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. » Le sang sur les portes est le signe que le fléau doit passer outre : le mot de Pâques signifie « passer outre ». C’est pour le peuple hébreu le début de son exode vers la Terre Promise. Chaque année dorénavant cet évènement est commémoré par chaque famille juive lors du repas solennel de la Pâques.

Et Jésus célèbre durant cette fête hébraïque sa propre Pâques, son passage vers la Terre Promise, à travers la mer rouge de son sang. Jésus célèbre la Pâque avec ses disciples, comme le fait tout juif pratiquant chaque année, mais il y a ici quelque chose d’absolument nouveau. « La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi  » (1 Corinthiens 11,23-24). Jésus prends la place de l’agneau pascal, pour s’offrir lui-même en sacrifice, ce que nous approfondirons demain.

Où était Marie à ce moment ? Comme en bien d’autres moments de sa vie, « Marie, dit Jean-Paul II, n’est présente qu’en arrière-fond. Les Évangiles ne disent rien à propos de son éventuelle présence au Cénacle au moment de l’institution de l’Eucharistie. Mais la fonction qu’elle remplit aux noces de Cana accompagne, d’une certaine manière, tout le parcours du Christ. (C’est) la grande recommandation que la Mère adresse à l’Église de tous les temps: « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2, 5). » (RVM 22). Dans son grand texte sur l’Eucharistie, ‘L’Eglise vit de l’Eucharistie’, Jean-Paul II développera en 2003 cette idée ; Je le cite :  « Avec la sollicitude maternelle dont elle témoigne aux noces de Cana, Marie semble nous dire: ’N’ayez aucune hésitation, ayez confiance dans la parole de mon Fils. Lui, qui fut capable de changer l’eau en vin, est capable également de faire du pain et du vin son corps et son sang, transmettant aux croyants, dans ce mystère, la mémoire vivante de sa Pâque, pour se faire ainsi pain de vie’ ». (EDE 54) 

Donc nous pouvons penser que Marie était présente non seulement avec les autres Sainte Femmes au Cénacle à Jérusalem et qu’elle a entendu les paroles de son Fils, mais aussi aux Eucharistie de la première communauté chrétienne : « Sa présence ne pouvait pas faire défaut dans les Célébrations eucharistiques parmi les fidèles de la première génération chrétienne, assidus ‘à la fraction du pain » (EDE 53) « Comment imaginer les sentiments de Marie, tandis qu’elle écoutait, de la bouche de Pierre, de Jean, de Jacques et des autres Apôtres, les paroles de la dernière Cène: ‘Ceci est mon corps, donné pour vous’ (Lc 22, 19) ? Ce corps offert en sacrifice, et représenté sous les signes sacramentels, était le même que celui qu’elle avait conçu en son sein ! » « Recevoir l’Eucharistie devait être pour Marie comme si elle accueillait de nouveau en son sein ce cœur qui avait battu à l’unisson du sien et comme si elle revivait ce dont elle avait personnellement fait l’expérience au pied de la Croix. » EDE 56

Le Pape François, dans une catéchèse du mercredi 18 novembre 2020, développe la présence de Marie à son Fils, puis à la Première Communauté Chrétienne et donc à la communauté qui célèbre l’Eucharistie aujourd’hui. « Marie accompagne en prière toute la vie de Jésus, jusqu’à la mort et à la résurrection; et, à la fin elle continue, et elle accompagne les premiers pas de l’Eglise naissante. (…) Marie ne joue pas le rôle d’un prêtre parmi eux, non ! Elle est la mère de Jésus qui prie avec eux, en communauté, comme une personne de la communauté. Elle prie avec eux et elle prie pour eux.

Marie a donc communié !

Il n’y a pas d’union plus intime que de manger une nourriture. Aussi dit Jean-Paul II, « le Sacrifice eucharistique tend en soi à notre union intime, à nous fidèles, avec le Christ à travers la communion: nous le recevons lui-même, Lui qui s’est offert pour nous, nous recevons son corps, qu’il a livré pour nous sur la Croix, son sang, qu’il a ‘répandu pour la multitude, en rémission des péchés’ ». (EDE 16)

C’est saint Jean au chapitre 6 qui rapporte le discours de Jésus intitulé le pain de vie : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi » (Jn 6, 57). » Jésus lui-même nous rassure: une telle union, qu’il compare par analogie à celle de la vie trinitaire, se réalise vraiment. L’Eucharistie est un vrai banquet, dans lequel le Christ s’offre en nourriture. (…) Ses auditeurs restent stupéfaits et désorientés, obligeant le Maître à souligner la vérité objective de ses paroles: ‘Amen, amen, je vous le dis: si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous’ (Jn 6, 53). Il ne s’agit pas d’un aliment au sens métaphorique: ‘Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson’ (Jn 6, 55). (EDE 16)

Cette union avec Jésus fait écho à l’union de Marie avec son Fils : « Le regard extasié de Marie, contemplant le visage du Christ qui vient de naître et le serrant dans ses bras, n’est-il pas le modèle d’amour inégalable qui doit inspirer chacune de nos communions eucharistiques ? » EDE 55. Accueillons Jésus hostie, comme Marie l’a accueilli dans son Incarnation le jour de son Annonciation. Ce jour-là, le sein de Marie était devenu le premier tabernacle du Corps du Christ et son Fiat, son Oui, préfigurait notre Amen chaque fois que nous communions.

Cette communion est une anticipation de la communion avec le Ciel : Celui qui se nourrit du Christ dans l’Eucharistie n’a pas besoin d’attendre l’au-delà pour recevoir la vie éternelle: il la possède déjà sur terre, comme prémices de la plénitude à venir. Dans l’Eucharistie en effet, nous recevons également la garantie de la résurrection des corps à la fin des temps: « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 54). Cette garantie de la résurrection à venir vient du fait que la chair du Fils de l’homme, donnée en nourriture, est son corps dans son état glorieux de Ressuscité. Avec l’Eucharistie, on assimile pour ainsi dire le « secret » de la résurrection. C’est pourquoi saint Ignace d’Antioche définit avec justesse le Pain eucharistique comme « remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir ». (EDE 18)

Nous sommes en communion avec l’Eglise du Ciel et donc avec Marie. Pendant le Kyrie, la liturgie invoque un autre monde : « je supplie la Vierge Marie, les anges et tous les saints… » et le Gloire à Dieu rappelle le chant des anges le matin de Noël : « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux ». En célébrant le sacrifice de l’Agneau, nous nous unissons à la liturgie céleste. L’Eucharistie est vraiment un coin du ciel qui s’ouvre sur la terre ! (EDE 19)

Enfin, nous sommes en communion avec tous les hommes. Saint Jean Chrysostome est précis : « Qu’est donc ce pain? C’est le corps du Christ. Que deviennent ceux qui le reçoivent? Le corps du Christ: non pas plusieurs corps, mais un seul corps. En effet, comme le pain est tout un, bien qu’il soit constitué de multiples grains qui, bien qu’on ne les voie pas, se trouvent en lui, tels que leur différence disparaisse en raison de leur parfaite fusion, de la même manière nous sommes unis les uns aux autres et nous sommes unis tous ensemble au Christ ». (EDE 23) En conséquences, aux germes de désagrégation entre les hommes, qui, à l’expérience quotidienne, apparaissent tellement enracinés dans l’humanité à cause du péché, s’oppose la force génératrice d’unité du corps du Christ. En faisant l’Église, l’Eucharistie crée proprement pour cette raison la communauté entre les hommes. (EDE 24) 

Un évêque américain, Mgr Robert Barron dans son livre Eucharistie, remarque qu’après avoir offert son corps et son sang en sacrifice dans le dernier repas, les apôtre se disputent : « Lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ? Jésus leur dit : Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. » Le philosophe Feuerbach commente : « Si nous sommes ce que nous mangeons, alors ceux qui mangent la chair de Jésus et boivent son sang doivent constituer une nouvelle société, fondée sur l’amour, le service, la non-violence, et la non-domination. » C’est l’art de vivre eucharistique. Amen. 

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Cet article a été rédigé par le service communication du diocèse de Gap.