Voici l’introduction de Mgr Xavier Malle, évêque de Gap (+Embrun), à l’entrée dans le mois missionnaire extraordinaire, qui a été marquée dans le diocèse par une messe des nations le 10 octobre 2019 :
Pourquoi ce mois missionnaire extraordinaire ?
« Ce mois missionnaire extraordinaire se veut comme une secousse pour nous inciter à être actifs dans le bien, non des notaires de la foi ni des gardiens de la grâce, mais des missionnaires. » Le pape a prononcé ces paroles fortes à l’occasion des Vêpres d’ouverture du mois missionnaire mondial, le 1er octobre dernier. Il a donc voulu ce mois missionnaire comme une secousse. Déjà dans sa lettre La joie de l’Évangile, au §15, il se mettait dans les pas de saint Jean-Paul II qui, dit-il, nous a invité à reconnaître qu’il « est nécessaire de rester tendus vers l’annonce » à ceux qui sont éloignés du Christ, « car telle est la tâche première de l’Église ». L’activité missionnaire « représente, aujourd’hui encore, le plus grand des défis pour l’Église » et « la cause missionnaire doit avoir la première place ». Que se passerait-il si nous prenions réellement au sérieux ces paroles, se demande le pape François ? Nous reconnaîtrions simplement que l’action missionnaire est le paradigme de toute tâche de l’Église.

Dans cette ligne, les évêques latino-américains ont affirmé que « nous ne pouvons plus rester impassibles, dans une attente passive, à l’intérieur de nos églises », et qu’il est nécessaire de passer « d’une pastorale de simple conservation à une pastorale vraiment missionnaire ». Puis au §20 : «nous sommes tous appelés à cette nouvelle “sortie” missionnaire. Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile.»
Et il enfonce le clou au §25 : « je souligne que ce que je veux exprimer ici a une signification programmatique et des conséquences importantes. J’espère que toutes les communautés feront en sorte de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont. Ce n’est pas d’une « simple administration » dont nous avons besoin. Constituons-nous dans toutes les régions de la terre en un « état permanent de mission ». Au §27 : «La réforme des structures, qui exige la conversion pastorale, ne peut se comprendre qu’en ce sens : faire en sorte qu’elles deviennent toutes plus missionnaires, que la pastorale ordinaire en toutes ses instances soit plus expansive et ouverte, qu’elle mette les agents pastoraux en constante attitude de “sortie” et favorise ainsi la réponse positive de tous ceux auxquels Jésus offre son amitié.»
Puis au § 28. «La paroisse n’est pas une structure caduque ; précisément parce qu’elle a une grande plasticité, elle peut prendre des formes très diverses qui demandent la docilité et la créativité missionnaire du pasteur et de la communauté.»
Comment allons-nous faire dans notre diocèse ?
Ce soir à la messe, nous avons fait monter vers le Seigneur deux actions de grâce : pour les missionnaires haut-alpins partis au loin et pour les missionnaires de loin venus chez nous ! Rendre grâce attire la grâce disent les anciens.
1) Notre première action pour notre conversion missionnaire sera de rendre grâce pour l’un de ces missionnaires haut-alpin, car nous allons vivre un véritable jubilé missionnaire en 2020-21 : le père Pierre Jartoux, d’Embrun, jésuite né en 1669 et mort à Pékin en Chine le 30 novembre 1720, après 19 ans de mission, à l’âge de 52 ans. Il est enterré à côté du célèbre jésuite Mateo Ricci.
Nous sommes en train de constituer un comité du jubilé. L’académicien d’origine Chinoise, François Cheng, 90 ans, contacté, est trop malade pour nous aider, mais il nous a écris une magnifique lettre pour nous encourager, je le cite : « la noble figure du père Jartoux mérite amplement d’être célébré, et à travers lui le thème des rencontres des cultures. Je serai de tout cœur avec vous le 30 novembre 2020. »

Celui qui m’a sensibilisé sur cet anniversaire s’appelle aussi Pierre Jartoux, homonyme mais n’est pas de la famille. Je l’ai rencontré cet été lors de ma visite pastorale à La Grave car d’origine savinoise, il a une maison secondaire aux Rivets. Il m’écrivait ceci : « il s’agit d’une vie pleine, certes consacrée à transmettre le message du Christ mais aussi et surtout vouée à la science avec un large spectre de connaissances allant des mathématiques pures à l’astronomie avec des applications à la géographie. (…) À l’heure où la Chine est tellement présente dans notre quotidien, il me paraît important de faire savoir à nos contemporains, haut-alpins en particulier, que des gens du pays ont tissé avec cet empire des relations bien avant que l’on parle de mondialisation. Cela devrait inspirer les jeunes et faire naître des vocations.» Voici donc la première pierre de notre conversion missionnaire, une année jubilaire missionnaire 2020-2021, autour de la figure de Pierre Jartoux.
2) En parallèle, nous allons mettre une seconde action, réfléchir ensemble sur des orientations missionnaires et une vision pastorale pour notre diocèse pour les dix années à venir. Nous sommes en train de constituer un comité «orientations et vision missionnaire». Nous nous ferons aider par Bérénice Gerbeaux, de Talenthéo, qui a déjà aidé le diocèse de Nice à mettre en place sa mission Azur.
Toujours dans sa lettre La joie de l’Évangile, le pape au §31 à une expression qui me parle dans notre région d’élevage : « parfois l’évêque se mettra devant pour indiquer la route et soutenir l’espérance du peuple, d’autres fois il sera simplement au milieu de tous dans une proximité simple et miséricordieuse, et en certaines circonstances il devra marcher derrière le peuple, pour aider ceux qui sont restés en arrière et – surtout – parce que le troupeau lui-même possède un odorat pour trouver de nouveaux chemins.» Cette vision missionnaire, ce n’est donc pas moi qui vais la définir, mais ce sera un véritable processus que l’on appelle dans notre langage d’église synodale, c’est à dire «marcher ensemble pour «mise en valeur des charismes que l’Esprit donne selon la vocation et le rôle de chacun des membres [de l’Église], à travers un dynamisme de coresponsabilité. […] Animés par cet esprit, nous pourrons avancer vers une Église participative et coresponsable, capable de mettre en valeur la richesse de la diversité dont elle se compose, en accueillant aussi avec gratitude l’apport des fidèles laïcs, notamment des jeunes et des femmes, celui de la vie consacrée féminine et masculine, et celui de groupes, d’associations et de mouvements. Personne ne doit être mis ou ne doit pouvoir se mettre à l’écart ».
Cette définition d’un processus synodal est au § 206 de sa lettre Il vit le Christ concernant la jeunesse. Alors évidemment, nous pouvons avoir des réticences, des interrogations, mais aussi nous pouvons pécher par omission. Ce sont des paroles fortes toujours du pape dans son homélie des Vêpres du 1er octobre : « Nous péchons par omission, c’est-à-dire contre la mission, quand au lieu de faire rayonner la joie, nous nous enfermons dans une victimisation triste, en pensant que personne ne nous aime et ne nous comprend. Nous péchons contre la mission quand nous cédons à la résignation : ‘‘Je n’y arrive pas, je ne suis pas capable’’. Mais comment ? Dieu t’a donné des talents et tu te crois pauvre au point de ne pouvoir enrichir personne ? Nous péchons contre la mission quand, en nous lamentant, nous continuons à dire que tout va mal dans le monde comme l’Église. Nous péchons contre la mission quand nous sommes esclaves des peurs qui immobilisent et nous nous laissons paralyser par le ‘‘on a toujours fait comme ça’’. Puis nous péchons contre la mission quand nous vivons notre vie comme on porte un poids et non comme un don, quand nous nous mettons au centre avec nos peines, à la place de nos frères et sœurs qui attendent d’être aimés. »
Frères et sœurs, finalement, l’objectif est de trouver les chemins pour dire à tous les haut-alpins ce que le pape disait aux jeunes §112 : « Je veux dire d’abord à chacun la première vérité : “Dieu t’aime”. Si tu l’as déjà entendu, peu importe. Je veux te le rappeler : Dieu t’aime. N’en doute jamais, quoiqu’il arrive dans ta vie. Tu es aimé infiniment, en toutes circonstances. »
L’homélie du Père Joseph-Charles Mbogba
Le 1er octobre dernier, le pape François a ouvert le mois missionnaire extraordinaire, annoncé il y a deux ans pour que « l’Église retrouve sa fécondité dans la joie de la mission ». Dans son homélie, il a exhorté tous les baptisés à « être actifs dans le bien, non des notaires de la foi ni des gardiens de la grâce, mais des missionnaires » qui témoignent « par la vie », comme les martyrs. Le Pape fait ainsi retentir dans nos cœurs, avec une force nouvelle, l’écho de l’Évangile que nous venons d’écouter. « Allez ! Voici que je vous envoie… » Allez !, un envoi fort qui met ses disciples en mouvement. « Duc in altum ! », allez au large, jetez les filets. L’Évangile nous met en mouvement, il nous invite à sortir de notre cadre habituel. Il fait de nous des pèlerins pour le Royaume.

Dans sa lettre apostolique Maximum illud du 30 novembre 1919, le pape Benoît XV (pape de la guerre) rappelait que « l’universalité divine de la mission de l’Église exige la sortie d’une appartenance exclusiviste à sa propre patrie et à sa propre ethnie ». Il faut s’armer du courage de s’ouvrir à la nouveauté salvifique de Jésus-Christ qui demande que soit surmontée toute intrusion ethnique et ecclésiale indue.
Aujourd’hui encore, et surtout aujourd’hui, l’Église continue d’avoir besoin d’hommes et de femmes qui, en vertu de leur baptême, répondent généreusement à l’appel à sortir de chez eux, de leur famille, de leur patrie, de leur langue, de leur Église locale. Ils sont envoyés aux peuples, dans le monde qui n’est pas encore transfiguré par les sacrements de Jésus-Christ et de son Église sainte. En annonçant la Parole de Dieu, en témoignant de l’Évangile et en célébrant la vie de l’Esprit, ils appellent à la conversion. La missio ad gentes (la mission vers les nations), toujours nécessaire pour l’Église, contribue ainsi de manière fondamentale au processus permanent de conversion de tous les chrétiens.
Aller, sortir, rencontrer : trois axes essentiels de la mission, qui nécessitent docilité, humilité, courage et joie. Il faut donc avoir le courage de se mettre en marche, de sortir de soi-même pour rencontrer l’autre. Il faut avoir le courage parfois de se remettre en cause, de se convertir, de se laisser toucher par le message du Christ. Le bon missionnaire n’a pas peur de la nouveauté, il ne se contente pas de pêcher dans le panier de l’autre, il va au large. Il n’a pas peur parce qu’il est avec le Christ, et il annonce le Christ qui transforme tout, qui rend toutes choses nouvelles.
En effet, comment pourrons-nous convertir si nous ne nous laissons pas nous-mêmes convertir par le Christ ? « comment l’invoquer, si on n’a pas mis sa foi en lui ? Comment mettre sa foi en lui, si on ne l’a pas entendu ? Comment entendre si personne ne proclame ? Comment proclamer sans être envoyé ? » (Rm 10,14-15). Nous sommes envoyés par l’Autre, à qui nous devons obéissance. C’est Lui que nous devons annoncer et non nous-mêmes. Le message du Christ doit être dans notre bouche, et solidement ancré dans notre cœur. C’est Lui que nous devons avoir l’humilité d’annoncer et taire nous-mêmes. C’est de Lui que l’humanité a besoin.
Nous sommes tous en mission et nous sommes tous terres de mission : entre « les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence » (Rm 10, 12). Personne n’est inutile et insignifiant pour l’amour de Dieu. Chacun d’entre nous est une mission dans le monde parce qu’il est fruit de l’amour de Dieu. Et le pape François de renchérir : « Sans Jésus-Christ, toute différence se réduit à une menace infernale en rendant impossibles tout accueil fraternel et toute unité féconde du genre humain ». Ainsi des Hauts-Alpins sont en mission dans le monde et le monde est en mission chez les Hauts-Alpins. Tous baptisés, tous envoyés, que personne ne se sente étranger lorsqu’il faut annoncer le Christ. Il est la source de notre joie authentique. Les 72 rentrent de la mission, tous joyeux, alors même qu’en y allant deux par deux, Jésus ne leur avait pas demander de se constituer par petits binômes d’amis. Ah qu’ils sont beaux, les pas de ceux qui portent la Bonne Nouvelle! (Rm 10, 16)
À Marie notre Mère, nous confions la mission de l’Église. Unie à son Fils, depuis l’incarnation, la Vierge s’est mise en mouvement, elle s’est laissé totalement impliquer dans la mission de Jésus, mission qui est également devenue la nôtre : collaborer comme Marie, et avec elle à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel, un monde où chacun se sent accueilli et aimé, un avant goût du Royaume.