Pendant quelques jours, les jeunes prêtres des différents diocèses de la province se sont retrouvés au Laus pour une session de formation avec Mgr Olivier de Germay, évêque d’Ajaccio.
Mgr Jean-Michel di Falco Léandri est venu les rejoindre ce mercredi 5 avril pour partager avec eux l’eucharistie puis le repas avant qu’ils ne retournent dans leurs diocèses de Marseille, Fréjus-Toulon, Avignon, Aix, Digne, Nice, Ajaccio, Monaco.
Ci-dessous l’homélie de Mgr Jean-Michel di Falco Léandri, qui a invité ces jeunes prêtres à travailler contre l’exclusion, contre le repli sur soi, et déjà au sein même de leur presbyterium par l’attitude qu’ils pouvaient avoir les uns à l’égard des autres.
|
|
|
|

Homélie
de Mgr Jean-Michel di Falco Léandri
Daniel 3, 14-20.91-92.95
Jean 8, 31-42
L’évangile d’aujourd’hui, on le commente souvent dans le sens de la vérité qui rend libre. Quant aux trois hommes dans la fournaise, on les voit comme que des hommes qui n’ont pas transigé avec la vérité. Mais l’intransigeance et la conviction d’avoir raison ne sont pas à elles seules un témoignage à la vérité.
Je dirais volontiers que l’évangile d’aujourd’hui nous met en garde contre tout repli identitaire, toute forme d’intransigeance. Vous l’avez entendu, les contradicteurs de Jésus sont pleins d’affirmations identitaires. « Nous sommes la descendance d’Abraham. » « Notre père, c’est Abraham. » « Nous ne sommes pas nés de la prostitution. » Et Jésus, sans nier qu’ils soient de la descendance d’Abraham, les invite à voir plus loin, plus large, plus grand.
Déclinez ce discours aujourd’hui, et cela donnerait : « Personne dans nos familles n’a jamais frayé avec l’étranger. Nous sommes les vrais Français. Nous sommes des Français pure souche. Nous sommes pour le droit du sang. » Et Jésus pourrait répondre : « Je sais bien que vous êtes Français, et pourtant vous cherchez à me tuer, parce que ma parole ne trouve pas sa place en vous. »
Alors à quoi mènent de telles attitudes identitaires ? Eh bien vous le voyez, à des conflits, à de la violence, voire même à des guerres.
Certains d’entre vous sont certainement en train de se dire : « Mais qu’est-ce qu’il nous raconte au lieu de nous parler de l’amour de Dieu ? » Il y en a même qui doivent penser : « Il a dépassé l’âge limite de la retraite pour les évêques, il commence à perdre la tête », ou encore, « en pleine campagne présidentielle il se croit dans un meeting et fait de la politique. »
Si c’est ce que vous pensez alors on peut dire que même les papes font de la politique. Le pape Benoît XVI invitait à ce que tout soit fait pour éviter « le retour à des oppositions nationalistes qui ont engendré, à d’autres périodes de l’histoire, des conséquences si tragiques. » Quant au saint pape Jean-Paul II, il disait que « par d’amères expériences, nous savons que la peur de la « différence », surtout quand elle s’exprime dans un nationalisme étroit et exclusif qui nie tout droit à l’« autre », peut conduire véritablement à l’horreur de la violence et de la terreur. »
Alors nous nous défendons contre un tel repli identitaire, source de conflits et de violence. Nous sommes d’accord avec nos papes… en théorie c’est sûr, mais dans la pratique, le sommes-nous ?
Par exemple, nous savons « que l’Église ne s’identifie jamais avec une seule nation, avec une seule culture. » (cf. Benoît XVI) Nous sommes heureux de nous retrouver lors de JMJ avec des personnes d’autres cultures qui partagent notre foi. Nous disons oui pour accueillir des chrétiens du Moyen-Orient. Mais quant à accueillir des musulmans… Là c’est autre chose. Souvenez-vous de certaines réactions lorsque le Pape François a ramené au Vatican après un voyage des familles musulmanes. « Notre chrétienté sera menacée… Bientôt on nous fera renier notre Dieu, on sera jetés dans la fournaise comme les trois hommes dans le livre de Daniel. »
Cette attitude de peur de l’autre entraînant le rejet et l’exclusion, cette attitude de repli sur soi, nous avons à nous en défendre jusque dans les petits événements de la vie quotidienne, jusqu’au sein de nos presbyteriums. Par exemple lors du repas qui suit la messe chrismale, souvent on voit les tables se constituer par affinité. Ici une table à soutanes, là une table à cols romains, là-bas une table à pulls jacquards à croix en bois… J’en souris, mais je constate !
Certes je caricature et vous dis cela avec humour, prenez-le ainsi. Mais n’y a-t-il pas un peu de vrai ?
Alors comment aller jusqu’au bout de la logique chrétienne sans nous arrêter en chemin. Eh bien, comme l’écrivait la fille du célèbre chef d’orchestre Georges Prêtre, dans une lettre ouverte aux prêtres et aux séminaristes, la solution est dans la logique de l’amour. « La logique de l’amour… Tout est là ! Le problème et la solution ! »
Dans quelques jours nous allons célébrer les Rameaux, avec la foule qui crie « Hosanna au fils de David ». Entre parenthèse c’est la même foule qui, manipulée, criera « À mort ! » Alors qu’attendait-elle, cette foule ? De toute évidence une restauration politique et nationaliste face à l’occupant romain. Nous allons entendre aussi le récit de la Passion. Les Romains vont placarder l’écriteau « Roi des juifs » sur le bois de la croix. Cet écriteau dit vrai, car Jésus est roi. Mais on se trompe lourdement si on lit cette expression sous un angle politique, militaire, nationaliste. Car le royaume de Jésus n’est pas de ce monde. (cf. Jn 18, 36) Pour citer le pape Benoît XVI, « personne ne combat pour cette royauté. […] Ce règne [de Jésus] est non violent. Il n’a aucune légion à sa disposition [pour l’établir]. » « La croix est son trône, d’où il attire le monde à lui. »
Vincent Ferrier que nous fêtons aujourd’hui est un exemple de refus de rester dans le quant-à-soi, un exemple d’ouverture. C’est un Européen. Né à Valence en Espagne, il a étudié et enseigné à Barcelone, à Lérida, à Toulouse. Il est parti prêcher sur les routes d’Espagne, de Suisse, d’Italie, de France. Il est mort en Bretagne. Il est passé par notre diocèse, s’adressant à une des périphéries de l’époque, les Vaudois de la Vallouise. Il ne s’enfermait pas dans sa sacristie. Il prêchait en ville aussi bien qu’à la campagne, dans les églises aussi bien que sur les places. Il ne s’adressait pas qu’à son fan club. Tous venaient l’écouter, artisans, laboureurs, magistrats, élèves et maîtres des universités.
Il vivait à une époque où l’Église était divisée, avec deux papes, un à Rome et l’autre à Avignon. S’il était pour le pape d’Avignon, cela ne l’a pas empêché de comprendre ceux qui étaient pour celui de Rome. Et il a travaillé à l’unité de l’Église au lieu de se satisfaire de sa division, ou de l’attiser. C’est parce qu’il ne supportait plus l’intransigeance du pape d’Avignon qu’il est parti sur les routes, vers les 99 brebis loin du bercail, vers les foules traumatisées par les malheurs du temps. Il cherche alors non pas à séduire et à mener à lui, mais à mener au Christ.
Je termine par un conseil de Vincent Ferrier que je laisse à votre méditation :
« Quiconque veut faire du bien aux âmes et les édifier par ses paroles, doit avant tout posséder en lui-même ce qu’il enseignera aux autres, sinon il réussira peu. Sa parole demeurera inefficace tant que ses auditeurs ne le verront pas pratiquer ce qu’il enseigne, et avoir plus de vertus qu’il n’en exige d’eux. »
Allez bon courage à vous, l’avenir est riche de l’Espérance de Dieu.
+ Jean-Michel di FALCO LÉANDRI
Évêque GAP et d’EMBRUN