Ouverture de la bénédiction à des couples irréguliers

« Fiducia supplicans » du dicastère pour la Doctrine de la foi, approuvée par le Pape, offre la possibilité de bénir les couples formés par des personnes de même sexe, en dehors cependant de toute ritualisation et imitation du mariage. La doctrine sur le mariage ne change pas et la bénédiction ne signifie pas l’approbation de l’union.

Une déclaration doctrinale ouvre la bénédiction à des couples irréguliers – Vatican News

Reprise de l’article paru le 18 décembre 2023 dans Vatican News :

Face à la demande de bénédiction de deux personnes, même si leur condition de couple est «irrégulière», il sera possible au ministre ordonné d’y consentir. Mais sans que ce geste de proximité pastorale ne contienne des éléments s’apparentant de près ou de loin à un rite de mariage. C’est ce qu’affirme la déclaration « Fiducia supplicans » sur le sens pastoral des bénédictions, publiée par le dicastère pour la Doctrine de la foi et approuvée par le Pape. Un document qui approfondit le thème de la bénédiction, en distinguant les bénédictions rituelles et liturgiques des bénédictions spontanées, qui s’apparentent davantage à des gestes de dévotion populaire: c’est précisément dans cette deuxième catégorie qu’est envisagée dorénavant la possibilité d’accueillir également les couples qui ne vivent pas selon les normes de la doctrine morale chrétienne, mais qui demandent humblement à être bénis. Cela fait 23 ans que l’ancien Saint-Office n’avait plus publié de déclaration (la dernière datant de 2000, « Dominus Jesus »), un document d’une grande valeur doctrinale.

La signification pastorale des bénédictions

« Fiducia supplicans » débute par une introduction du préfet, le cardinal Victor Fernandez, qui explique que la déclaration approfondit la «signification pastorale des bénédictions», permettant «d’en élargir et d’en enrichir la compréhension classique» à travers une réflexion théologique «fondée sur la vision pastorale du Pape François». Une réflexion qui «implique un réel développement par rapport à ce qui a été dit sur les bénédictions» jusqu’à présent, venant à inclure la possibilité «de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Église sur le mariage».

Après les premiers paragraphes, qui rappellent un précédent document de 2021, aujourd’hui approfondi et dépassé, la déclaration présente la bénédiction dans le sacrement du mariage en déclarant «inadmissibles les rites et les prières qui pourraient créer une confusion entre ce qui est constitutif du mariage» et «ce qui le contredit», afin d’éviter de reconnaître de quelque manière que ce soit «comme mariage ce qui n’en est pas un». Elle rappelle que, selon la «doctrine catholique pérenne», seules les relations sexuelles dans le cadre du mariage entre un homme et une femme sont considérées comme licites.

Un deuxième chapitre détaillé du document analyse la signification des différentes bénédictions, qui ont pour destination des personnes, des objets de dévotion, des lieux de vie. Il rappelle que «d’un point de vue strictement liturgique», la bénédiction exige que ce qui est béni «soit conforme à la volonté de Dieu exprimée dans les enseignements de l’Église». Lorsque, par un rite liturgique spécifique, «une bénédiction est invoquée sur certaines relations humaines», il est nécessaire que «ce qui est béni puisse correspondre aux desseins de Dieu inscrits dans la Création». En conséquence, l’Église n’a pas le pouvoir de conférer une bénédiction liturgique aux couples irréguliers ou de même sexe. Mais il faut éviter le risque de réduire le sens des bénédictions à ce seul point de vue, en prétendant pour une simple bénédiction «les mêmes conditions morales que celles qui sont exigées pour la réception des sacrements».

Des actes de dévotion

Après avoir analysé les bénédictions dans l’Écriture, la déclaration propose une compréhension théologico-pastorale. Le demandeur d’une bénédiction «montre qu’il a besoin de la présence salvifique de Dieu dans son histoire», parce qu’il exprime «d’une demande d’aide adressée à Dieu, d’une prière pour pouvoir vivre mieux». Cette demande doit être accueillie et valorisée «en dehors d’un cadre liturgique», quand on se trouve «dans un domaine de plus grande spontanéité et liberté». Dans la perspective de la piété populaire, «les bénédictions doivent être évaluées comme des actes de dévotion». Pour les conférer, il n’est donc pas nécessaire d’exiger une «perfection morale préalable».

Cette distinction approfondie, sur la base de la réponse du Pape François aux dubia des cardinaux publiés en octobre dernier qui invitait au discernement sur la possibilité de «formes de bénédiction, demandées par une ou plusieurs personnes, qui ne véhiculent pas une conception erronée du mariage», le document affirme que ce type de bénédictions «sont offertes à tous, sans rien demander», afin de «faire sentir à ces personnes qu’elles restent bénies malgré leurs graves erreurs», et «que le Père céleste continue à vouloir leur bien et à espérer qu’elles s’ouvrent finalement au bien».

Il existe «de nombreuses occasions où les personnes viennent spontanément demander une bénédiction, que ce soit lors de pèlerinages, dans des sanctuaires, ou même dans la rue lorsqu’elles rencontrent un prêtre», et de telles bénédictions «s’adressent à tous, personne ne doit en être exclu». Par conséquent, tout en s’interdisant d’activer des «procédures ou des règles» dans ces circonstances, le ministre ordonné peut s’associer à la prière des personnes qui, «bien que vivant une union qui ne peut en aucun cas être comparée au mariage, désirent se confier au Seigneur et à sa miséricorde, invoquer son aide et être guidées vers une plus grande compréhension de son dessein d’amour et de vérité».

Recevoir l’aide de Dieu

Le troisième chapitre de la Déclaration ouvre donc à la possibilité de ces bénédictions, qui représentent un geste envers ceux qui se reconnaissant indigents et ayant besoin de son aide, ne revendiquent pas la légitimité de leur propre statut, mais demandent que tout ce qui est vrai, bon et humainement valable dans leur vie et dans leurs relations soit investi, guéri et élevé par la présence de l’Esprit Saint». De telles bénédictions ne doivent pas être standardisées, mais confiées au «discernement pratique face à une situation particulière». Si c’est bien que le couple qui est béni, et non l’union, la déclaration inclut dans ce qui est béni les relations légitimes entre les deux personnes: dans la «courte prière qui peut précéder cette bénédiction spontanée, le ministre ordonné pourrait demander pour eux la paix, la santé, un esprit de patience, de dialogue et d’entraide, mais aussi la lumière et la force de Dieu pour pouvoir accomplir pleinement sa volonté». Il est également précisé que pour éviter «toute forme de confusion et de scandale», lorsqu’un couple irrégulier ou de même sexe demande une bénédiction, celle-ci «ne sera jamais accomplie en même temps que les rites civils d’union, ni même en relation avec eux. Ni non plus avec des vêtements, des gestes ou des paroles propres au mariage». Ce type de bénédiction «peut en revanche trouver sa place dans d’autres contextes, comme la visite d’un sanctuaire, la rencontre avec un prêtre, une prière récitée en groupe ou lors d’un pèlerinage».

Enfin, le quatrième chapitre rappelle que «même lorsque la relation avec Dieu est obscurcie par le péché, il est toujours possible de demander une bénédiction, en lui tendant la main» et la désirer «peut être le bien possible dans certaines situations».

 

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La déclaration du dicastère pour la Doctrine de la foi « Fiducia supplicans » ouvre la possibilité de bénédictions simples aux couples irréguliers. Une expression de la tendresse de Jésus, qui pour François, permet de rejoindre et sauver ceux qui sont loin.
Andrea Tornielli* – Cité du Vatican (*Directeur éditorial des médias du Vatican)

« Nemo venit nisi tractus », personne ne s’approche de Jésus s’il n’est pas attiré, écrivait saint Augustin en paraphrasant les paroles du Nazaréen: « Personne ne vient à moi si mon Père ne l’attire pas« . À l’origine de l’attractivité de Jésus -cette attraction dont Benoît XVI a parlé en rappelant la manière dont la foi se propage- il y a toujours l’action de la grâce. Dieu nous précède toujours, nous appelle, nous attire, nous fait faire un pas vers Lui, ou tout au moins allume en nous le désir de faire ce pas, même si nous semblons encore manquer de force et nous sentons paralysés.

Le cœur d’un pasteur ne peut rester indifférent aux personnes qui s’approchent humblement de lui pour demander à être bénies, quelles que soient leur condition, leur histoire, leur parcours de vie. Le cœur du pasteur n’éteint pas la petite lumière en ceux qui sentent leur propre incomplétude, sachant qu’ils ont besoin de la miséricorde et de l’aide d’en haut. Le cœur du pasteur entrevoit dans cette demande de bénédiction une fissure dans le mur, une minuscule fente par laquelle la grâce pourrait déjà être à l’œuvre. C’est pourquoi sa première préoccupation n’est pas de reboucher la petite fissure, mais d’accueillir et d’implorer la bénédiction et la miséricorde afin que les personnes face à lui puissent commencer à comprendre le dessein de Dieu pour leur vie.

Cette conscience fondamentale transparaît dans « Fiducia supplicans », la Déclaration du dicastère pour la Doctrine de la foi sur le sens des bénédictions, qui ouvre la possibilité à la bénédiction de couples irréguliers, même de même sexe, en précisant bien que, dans ce cas, la bénédiction ne signifie pas l’approbation de leurs choix de vie, et en réitérant la nécessité d’éviter toute ritualisation ou tout autre élément qui pourrait imiter, de près ou de loin, un mariage. Il s’agit d’un document qui approfondit la doctrine sur les bénédictions, en faisant la distinction entre bénédictions d’ordre rituelles et liturgiques, et bénédictions spontanées, se caractérisant plutôt comme des actes de dévotion liés à la piété populaire. C’est un texte qui concrétise, dix ans plus tard, les paroles du Pape contenues dans « Evangelii gaudium »«L’Église n’est pas une douane, elle est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile».

L’origine de la Déclaration est évangélique. À chaque page de l’Évangile, ou presque, Jésus brise les traditions, les prescriptions religieuses, la respectabilité et les conventions sociales. Et il pose des gestes qui scandalisent les bienveillants, les «purs» autoproclamés, ceux qui se construisent un bouclier de normes et de règles pour repousser, rejeter, fermer les portes. Dans presque chaque page de l’Évangile, nous voyons les docteurs de la loi essayer de mettre le Maître en difficulté avec des questions tendancieuses, pour ensuite murmurer avec indignation face à sa liberté débordante de miséricorde: «Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux!»

Jésus était prêt à courir vers la maison du centurion de Capharnaüm pour guérir son serviteur bien-aimé, sans se soucier de se souiller en entrant dans la demeure d’un païen. Il a permis à la pécheresse de lui laver les pieds sous les regards critiques et méprisants des convives, incapables de comprendre pourquoi il ne l’a pas repoussée. Il a regardé et appelé le publicain Zachée qui se tenait perché sur une branche de sycomore, sans s’attendre à ce qu’il se convertisse et change de vie avant de recevoir ce regard miséricordieux. Il n’a pas condamné la femme adultère, qui était passible de lapidation selon la loi, mais il a désarmé les mains de ses bourreaux en leur rappelant qu’eux aussi – comme tous les autres – étaient des pécheurs. Il a dit qu’il était venu pour les malades et non pour les bien-portants, il s’est comparé à la figure singulière d’un berger prêt à laisser 99 brebis sans surveillance pour aller chercher la seule qui s’est égarée. Il a touché le lépreux en le guérissant de sa maladie et de son statut de paria «intouchable». Ces «rejetés» ont croisé son regard et se sont sentis aimés, destinataires d’une étreinte de miséricorde qui leur était offerte sans conditions préalables. Se découvrant aimés et pardonnés, ils ont pris conscience de ce qu’ils étaient: de pauvres pécheurs comme les autres, ayant besoin de conversion, mendiants de tout.

Le Pape François a déclaré aux nouveaux cardinaux en février 2015: «Pour Jésus ce qui compte, avant tout, c’est de rejoindre et de sauver ceux qui sont loin, soigner les blessures des malades, réintégrer tous les hommes dans la famille de Dieu! Et cela scandalise certains! Et Jésus n’a pas peur de ce type de scandale! Il ne pense pas aux personnes fermées qui se scandalisent même pour une guérison, qui se scandalisent face à n’importe quelle ouverture, à n’importe quel pas qui n’entre pas dans leurs schémas mentaux et spirituels, à n’importe quelle caresse ou tendresse qui ne correspond pas à leurs habitudes de pensée et à leur pureté rituelle».

La «doctrine catholique pérenne sur le mariage», rappelle la Déclaration, ne change pas: ce n’est que dans le cadre du mariage entre un homme et une femme que «les relations sexuelles trouvent leur sens naturel, adéquat et pleinement humain». Il faut donc éviter de reconnaître comme mariage «ce qui ne l’est pas». Mais dans une perspective pastorale et missionnaire, il ne faut pas fermer la porte à un couple «irrégulier» qui viendrait demander une simple bénédiction, à l’occasion d’une visite dans un sanctuaire ou à l’occasion d’un pèlerinage. L’érudit juif Claude Montefiore a identifié la spécificité du christianisme précisément en ceci : «Alors que les autres religions décrivent l’homme à la recherche de Dieu, le christianisme proclame un Dieu qui cherche l’homme… Jésus a enseigné que Dieu n’attend pas le repentir du pécheur, il part à sa recherche pour l’appeler à lui». La porte ouverte d’une prière et d’une petite bénédiction peut être un début, une opportunité, une aide.