Le prêtre n’est pas seulement mandaté, il est consacré

Le prêtre n’est pas seulement mandaté, il est consacré – homélie de la messe Chrismale à Briançon le mardi saint 4 avril 2022

Peut-être avez-vous remarqué le panneau en bois qui signale la naissance à Briançon de Don Chautard, père abbé de l’abbaye cistercienne de Septfond, auteur au début du 20ème siècle d’un ouvrage qui a marqué des générations de chrétiens, intitulé ‘L’âme de tout apostolat’, sur l’importance de la prière. Une biographie raconte sa première expérience de Dieu ici dans nos montagnes. Gustave, 10 ans,  marche avec ses parents et des oncles et tantes jusqu’à la Croix de Toulouse au dessus de Briançon. Là, il tomba en admiration devant la beauté du spectacle au point de ne pas s’apercevoir que les autres, après un temps d’arrêt, avaient continués leur marche. Eux de leur côté ne remarquèrent pas l’absence de l’enfant, ou du moins ne s’en soucièrent pas, tant on était habitué à le voir courir d’un côté et de l’autre. Pourtant comme l’absence se prolongeait, l’inquiétude s’infiltra dans les coeurs et l’on cria : Gustave, Gustave. Anxieuse, tante Valérie rebroussa chemin et quelle ne fut pas sa surprise en découvrant son neveu à l’endroit où, une demi-heure plus tôt, on avait fait halte. Il était debout près de la Croix, le visage rayonnant et comme fasciné par ce qu’il avait sous les yeux. La tante s’arrêta un instant saisie d’admiration puis, songeant à l’angoisse des parents, elle s’approcha toute émue, embrassa longuement l’enfant, et l’entraîna sans rien dire. Elle resta persuadé qu’il venait de se passer quelque chose de surnaturel, mais le neveu fut incapable d’expliquer ce qu’il avait ressenti. autard, fit la confidence de la grâce qu’il avait reçu ce jour là, saisi par le spectacle grandiose. A ses pieds Briançon qu’il pouvait envelopper d’un seul regard ; devant lui la vallée de la Durance, immense, sans limite ; tout autour des sommets à perte de vue. Puis tout cela s’était estompé, pour laisser place à un sentiment de présence vivante et aimante. Dieu se rendait sensible par son immensité, par sa beauté accueillante et sa bonté sans mesure. « Je puis dire, témoigna-t-il, que ce jour là, j’ai en quelque sorte vu Dieu. J’ai pris conscience qu’il n’était pas une idée, une image, mais une présence, une immensité, un amour. » (Bernard Martelet, Itinéraire spirituel de Dom Chautard, 1967, 15-17)

Cette prise de conscience que Dieu n’est pas une idée apprise au KT, mais une présence, je peux en témoigner perdonnellement, a aussi été le début de mon discernement pour être prêtre, à l’âge de 12 ans. Si Dieu m’aime ainsi, je veux lui donner toute ma vie. Chacun de nous peut se rappeler le moment où il a été saisit par l’amour de Dieu.

Après cette page locale, permettez-moi de contempler le mystère de notre consécration sacerdotale en reprenant la prière d’ouverture de cette messe Chrismale et en commentant l’Ecriture. « Seigneur Dieu, tu as donné l’onction de l’Esprit Saint à ton fils unique et l’as établi Christ et Seigneur ; nous t’en prions : puisque tu nous fais participer à sa consécration, accorde-nous d’être dans le monde les témoins de la rédemption. »

St Luc écrit « En ce temps-là, Jésus vint à Nazareth, où il avait été élevé. » Cela se situe juste après les tentations au désert et les autres évangélistes précisent « après que Jean eut été livré ». Le moment est donc grave, ce n’est pas juste un retour dans la ville où il a grandi. Jean a été livré comme lui le sera. Jésus sait qu’il ne s’appartient pas et il prends l’initiative : « il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit. » C’est donc lui qui a choisi la prophétie d’Isaïe au chapitre 61, que nous avons également entendue en première lecture : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé. » Il m’a oint, ce que veut dire le mot Christ, d’où le nom de cette messe Chrismale où nous bénissons l’huile qui sert à oindre, pour une mission de Salut que Jésus détaille : « Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Puis il fait la plus courte homélie de tous les temps : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

Il est fondamental de comprendre cette consécration et cet envoi du Fils, pour nous prêtre, mais aussi pour tous les baptisés. Le concile Vatican II, dans son décret ‘Presbyterorum Ordinis’, sur le ministère et la vie des prêtres indique ceci : Le Seigneur Jésus, « que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde » (Jn 10, 36), fait participer tout son Corps mystique à l’onction de l’Esprit qu’il a reçue : en lui, tous les fidèles deviennent un sacerdoce saint et royal, offrent des sacrifices spirituels à Dieu par Jésus Christ, et proclament les hauts faits de Celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » Le Pape François synthétise cela dans sa formule du disciple missionnaire ; je cite ‘la Joie de l’Evangile’ au § 120. « En vertu du Baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple-missionnaire. (…) Nous ne disons plus que nous sommes ‘disciples’ et ‘missionnaires’, mais toujours que nous sommes ‘disciples missionnaires’. » C’est le sens de la vision pastorale de notre diocèse, intitulée ‘Mission Altitude’, pour nous aider à vivre cette vocation de disciple missionnaire.

Le concile précise ensuite pour les prêtres : « Le Christ a envoyé ses Apôtres comme le Père l’avait envoyé, puis, par l’intermédiaire des Apôtres, il a fait participer à sa consécration et à sa mission les évêques, leurs successeurs, dont la fonction ministérielle a été transmise aux prêtres à un degré subordonné : ceux-ci sont donc établis dans l’Ordre du presbytérat pour être les coopérateurs de l’ordre épiscopal dans l’accomplissement de la mission apostolique confiée par le Christ. » Mgr Eric de Moulin Beaufort dans un texte sur la phase continentale du Synode le redit d’une autre manière : « Il n’y a pas un ministère ordonné seulement parce que tout groupe humain a besoin de chef (…) mais parce que nous recevons du Fils consacré et envoyé par le Père ce que lui seul peut donner et qui nous met à part en ce monde tout en nous y envoyant plus profondément encore. »

Reprenons ces deux termes qui semblent opposés : nous met à part en ce monde tout en nous y envoyant plus profondément encore.

« Nous sommes mis à part en ce monde, » c’est ce que veut dire être consacré. Le discours sur le sacré a certes besoin d’être purifié car certains ont pu s’en servir pour exercer un abus de pouvoir et tous les crimes qui en ont découlé, mais il est indispensable pour ne pas réduire le prêtre à un agent pastoral. « Le prêtre n’est pas seulement mandaté, il est consacré. » (Joël Guibert, Prêtre, p 42) Le Pape Benoît XVI disait lors de la messe Chrismale 2009 : « Consacrer quelque chose signifie donner cette chose ou cette personne en propriété à Dieu. » Notre baptême est notre consécration fondamentale. Puis Dieu appelle certains à la vivre d’une manière plus total ; ce sont les prêtres, religieux et religieuses et consacrés dans l’Eglise. Ainsi chers religieux et religieuses, chers consacrés, chers prêtres, nous sommes la propriété de Dieu ! Pour nous prêtre, cette consécration se réalise par deux rites : l’imposition des mains de l’évêque et l’onction des mains du prêtre par l’évêque avec le Saint Chrême. Il est bon lors de notre retraite annuelle de pouvoir faire le point : cette année, ces mains ont-elles été source de bénédiction ? Ont-elles porté la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncé aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remis en liberté les opprimés ? Il nous faut sans cesse progresser dans les vertus nécessaires et exigées par notre sacerdoce, car nos mains consacrées sont ensuite celles qui consacrent.

Nous sommes donc « mis à part en ce monde, tout en nous y étant envoyé plus profondément encore » Ou comme dit l’oraison : « puisque tu nous fais participer à sa consécration, accorde-nous d’être dans le monde les témoins de la rédemption ». Cette formulation me semble à même d’éviter les fausses pistes ; nous sommes témoins de la Rédemption, ce n’est pas nous qui la réalisons. C’est le Christ en nous, par nos pauvres mains consacrées. Ce terme de témoin, l’Apocalypse l’attribue au Christ Jésus : « Que la grâce et la paix vous soient données de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle. »

Puisse chers frères prêtre, que celui qui sera chargé de faire l’homélie de notre sépulture dire que nous avons été un témoin fidèle de la Rédemption, avec la grâce de Dieu ! Amen !