20240129 De tout cœur, chantons ‘Gloire au Christ ! Homélie sépulture soeur Marie-Gabrielle

Lundi 29 janvier 2024 – Église des Cordeliers à Gap

Sépulture de Sœur Marie-Gabrielle, dernière religieuse de la Congrégation du Saint Coeur de Marie à Gap

Télécharger le PDF de l’homélie Lundi 29 janvier 2024 homélie sépulture soeur Marie-Gabrielle par Mgr X Malle

Témoignages en début de célébration

« De tout cœur, chantons ‘Gloire au Christ !’ Lui qui a donné son Cœur à sa très sainte Mère et qui a placé son Esprit au-dedans d’elle pour qu’ils soient un seul cœur et une seule âme. »

Cette invitation est de saint Jean Eudes,

un prêtre normand connu pour être l’initiateur du culte liturgique des cœurs de Jésus et de Marie. En 1643 saint Jean Eudes fonda la Congrégation de Jésus et Marie, appelés aujourd’hui les ‘Eudistes’, congrégation destinée à la formation des prêtres dans les séminaires. En 1672, un an avant la première grande apparition du Cœur de Jésus à Paray-le-Monial, il composa une messe et un office en l’honneur du Cœur de Marie et une autre au Cœur de Jésus, avant même qu’il y ait une fête liturgique officielle. Il chemina ainsi du Cœur de Marie au Cœur de Jésus. C’est le chemin inverse que va faire la congrégation du saint Cœur de Marie dont nous célébrons ce matin la sépulture de la dernière religieuse.

Un peu moins de deux siècles après Jean Eudes,

en 1833, Mgr François-Antoine Arbaud, évêque de Gap, rachète l’ancien couvent des Cordeliers et y installe Mlles Marie-Camille Méry et Désirée Moynier, qui sont ainsi à l’origine de la congrégation qui sera officiellement fondée en 1835. La Congrégation prend d’abord le nom de Sacré-Cœur, pour finalement adopter celui du Saint-Cœur de Marie ; les premières sœurs se consacrant au Cœur immaculé de Marie devant la Vierge du Laus. La spiritualité du Saint-Cœur de Marie a alors le vent en poupe. Une rapide recherche internet m’en a fait prendre conscience : Ainsi la Société du Saint-Cœur de Marie est fondée en 1841 par le père François Libermann qui plus tard deviendra la Congrégation des missionnaires du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie, appelés les Spiritains. En 1865 c’est la fondation des Sœurs Servantes du Saint-Cœur de Marie à Paris, par un spiritain. En 1858 les Filles du Saint-Cœur de Marie sont fondée à leur tour en Afrique, par un autre spiritain à Dakar ; elles sont toujours présentes dans notre province à Nice et à Monaco. Il me semble que l’on tient peut-être là la filiation de cette congrégation du Saint Cœur de Marie, avec une source lointaine de cette spiritualité au 17ème siècle en saint Jean Eudes et un renouveau au 19ème siècle avec les Spiritains. Cela reste une hypothèse historique personnelle, et je lance un appel : il serait juste et bon qu’un historien écrive l’histoire de cette congrégation dorénavant éteinte.

Les religieuses du Saint Cœur de Marie se consacraient au cœur de Marie, pour être consacré au cœur de Jésus.

Chers frères et sœurs religieux et religieuses, qui avaient répondu à l’appel de Dieu à vous consacrer à lui, vous savez que ce mot vient du latin ‘consecrare’, rendre sacré en séparant du profane en vous dédiant à Dieu. Il y a une dimension de séparation du monde, de mise à l’écart, exprimé ici par les grands murs qui entouraient le couvent du St Cœur, ce qu’on appelle la clôture. Si j’ai bien compris leur vie, elle était de type semi-contemplative, contemplative avec une mission sociale, en l’occurence l’enseignement, puis les personnes âgées. Il en reste notre magnifique école du St Cœur, et je salue sa directrice ici présente, et la maison St Marcellin où sœur Marie-Gabrielle a été elle-même accueillie il y a quelques années.

Les paroles de Jésus dans l’évangile selon st Jean au chapitre 12, choisies pour la sépulture de sœur Marie-Gabrielle peuvent être entendues selon un double sens.

Réécoutons-les : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »

Non seulement, dans le cadre d’une sépulture, qui est une prière pour le repos de l’âme après la mort, on affirme ainsi notre foi en la vie éternelle de l’âme.

Mais encore, dans le cadre d’une consacrée, le sens le plus profond commence le jour où elle a franchi pour la première fois la clôture du couvent. Certes elle devait aimer la vie du monde, mais l’appel de Dieu a été plus fort, et elle a choisi Jésus pour seul avenir, pour seul amour, anticipant en quelque sorte la vie éternelle.

Cela ne veut pas dire qu’elle était devenue un ange, même si la vie communautaire rabote bien. Les résidents de la maison st Marcellin peuvent témoigner : elle avait du caractère, mais c’était une voisine joyeuse et taiseuse. Elle ne parlait pas beaucoup et de moins en moins, comme si sa vie contemplative reprenait le dessus. Quand je suis allé la visiter à l’hôpital lundi dernier au soir, elle dormait. L’après-midi, m’a dit sa voisine de chambre, elle parlait encore bien. Elle a fini par ouvrir les yeux et me faire comprendre qu’elle avait compris qui était auprès d’elle et les a refermés. J’ai prié les vêpres auprès d’elle, puis suis parti. Elle a sans doute ensuite ouvert les yeux sur le monde invisible.

Reprenons les paroles de Jésus selon l’évangile de st Jean : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! » Elle aurait pu dire cela : c’est pour cette heure du face à face avec le Père qu’elle est entrée au couvent du St Cœur. Il me revient alors des paroles de ste Thérèse de Lisieux, citées par le pape François dans sa petite lettre magnifique sur la petite Thérèse intitulée : « C’est la confiance ». « Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même ».  Thérèse ajoute : « C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour ». Sœur Marie Gabrielle paraît devant Dieu les mains vides. Pas de grande œuvre. Elle a été une sœur parmi les autres sœurs, mais pour nous elle restera à jamais la dernière sœur du St Cœur.

Elle a essayé d’aimer ses sœurs, les personnes qu’elle rencontrait dans son apostolat, puis ses voisins de la maison st Marcellin. « Bien-aimés, dit encore st Jean dans sa première lettre, notre première lecture, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. »

Religieuse du saint Cœur de Marie, elle voulait ne faire qu’un seul cœur avec Marie, et par Marie avec Jésus.

L’acte d’amour ultime des trois dernières sœurs a été de léguer le grand couvent du Saint Cœur au diocèse. Notre diocèse de Gap-Embrun restera reconnaissant, d’abord par ce que la communauté des sœurs du St Cœur ont apporté au fil des années aux diocésains, par leur présence, par leur prière et par leur apostolat éducatif ou auprès des personnes âgées, mais aussi pour ce qui demeure aujourd’hui :

  • l’école du st Cœur de Marie,
  • la maison st Marcellin
  • le centre diocésain Pape François,
  • et depuis cet été l’évêché.

Je le mentionne car il est assez exceptionnel qu’une congrégation donne si généreusement ses biens à un diocèse, pour contribuer à la mission évangélisatrice de la communauté chrétienne. Pour cela en particulier, chère sœur Marie-Gabrielle, unie à vos autres sœurs, je veux exprimer la reconnaissance du diocèse de Gap-Embrun.

Je termine en paraphrasant le pape François, toujours dans cette lettre sur Thérèse de Lisieux :

En un temps qui nous invite à nous enfermer dans nos intérêts particuliers, sœur Marie-Gabrielle nous montre qu’il est beau de faire de sa vie un don.

À un moment où les besoins les plus superficiels prévalent, elle est un témoin du radicalisme évangélique.

En un temps d’individualisme, elle nous fait découvrir la valeur de l’amour qui devient intercession.

À un moment où l’être humain est obsédé par la grandeur et par de nouvelles formes de pouvoir, elle montre le chemin de la petitesse.

En un temps où de nombreux êtres humains sont rejetés, elle nous enseigne la beauté d’être attentif, de prendre soin de l’autre.

Avec vous chère sœur Marie-Gabrielle et toutes vos sœurs, réunies dans la communauté du Ciel, « De tout cœur, nous chantons ‘Gloire au Christ !’ » Amen.