L’assemblée nationale examine actuellement un projet de loi sur la bioéthique. En septembre 2018, les évêques de France, unanimement, ont signé un texte intitulé La dignité de la procréation, qui est téléchargeable sur le site de la Conférence des évêques de France ou consultable à la médiathèque diocésaine.
Pour favoriser la formation de la conscience des chrétiens sur cette question qui concerne chacun, Mgr Xavier Malle, avec l’appui de son Conseil de la bioéthique, a souhaité rédiger un texte plus court et plus synthétique. Il a symboliquement voulu le dater de la fête de la Nativité de Marie le 8 septembre.
Questionnements de Mgr Xavier Malle sur le projet de loi bioéthique
Le gouvernement français souhaite faire adopter par le parlement, rapidement et d’une manière « apaisée », une nouvelle loi bioéthique. Nous savons tous que toucher à la conception, à la procréation, au don de la vie, n’est pas anodin. Il est donc légitime de nous poser des questions.
Ce projet de loi touche à beaucoup de sujets. Le plus connu est « la PMA pour toutes », soit l’extension de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules. Un éditorialiste estimait que « la PMA pour toutes n’est qu’une diversion. (…) Ses conséquences, certes extrêmement néfastes et contre lesquelles il faudra s’élever, ne sont rien, ou si peu, au regard de celles que provoquera la libéralisation quasi totale de la recherche sur l’embryon contenue dans le projet de loi bioéthique. » Effectivement, beaucoup de mesures prévues sont inquiétantes (ainsi la fin du délai de réflexion avant un IMG, interruption médicale de grossesse) et doivent susciter pour elles-mêmes des interrogations et un débat à la hauteur des enjeux. Toutefois, comme les médias vont surtout parler de la « PMA sans père », je souhaite vous partager ces questionnements spécifiques.
Au préalable, nous devons réaffirmer notre foi que tout enfant né est un don de Dieu quelles que soient les médiations pour lesquelles nous avons opté pour concourir à leur naissance. À leurs papas et leurs mamans qui ont longuement espéré une naissance et à eux-mêmes nous devons une grande estime et un profond respect. Mais nous ne pouvons ignorer les interrogations que tout enfant se pose un jour, devenu adulte, sur ses origines. À chacun, quelle que soit sa conception, je voudrais redire combien il est infiniment aimé de Dieu. S’il est baptisé ou s’il veut le devenir librement, il est membre de l’Église comme chacun de nous.
Pour une réflexion éthique sur le fond, vous pouvez vous procurer un texte signé par tous les évêques de France, La dignité de la procréation. Pour un éclairage spécifiquement juridique mais très accessible, vous trouverez dans les principales églises du diocèse ou vous pouvez le télécharger sur internet, un livret édité par l’Association des Juristes pour l’Enfance, qui étudie les conséquences du projet de loi.
Concernant la « PMA sans père », nous pouvons nous poser au moins 10 questions, classées en trois catégories.
A. Y a-t-il des conséquences sur l’enfant ?
1. Un enfant peut-il vraiment se passer de père ? Les pédiatres et les pédopsychiatres nous disent combien la présence paternelle est importante pour l’éducation de l’enfant et sa maturation affective, quelle que soit la manière dont sa fonction structurante ait pu être exercée. Une maman sans papa ou deux mamans, est-ce équivalent à une maman et à un papa ? N’est-il pas différent d’accompagner des orphelins et de créer volontairement des orphelins ? Accueillir une situation n’est pas l’organiser.
2. Connaître ses origines, n’est-ce important qu’à partir de 18 ans ? Ce serait l’âge auquel le projet de loi prévoit de pouvoir dire quelque chose sur le père. Un « parent 3 » » semble alors apparaître à 18 ans. Mais pourquoi à 18 ans, alors qu’il est nié à la conception, et comme si un enfant ne se posait pas la question de ses origines ?
B. Y a-t-il des conséquences pour l’ensemble de la société ?
3. L’enfant devient-il un bien de consommation qui s’achète ? La marchandisation n’est-elle pas en bonne voie ? Combien vont gagner certains laboratoires ? Faudra t’il acheter du sperme ou des ovules à l’étranger, sachant que les dons (qui posent déjà d’énormes problèmes éthiques) ne sont pas suffisants pour les PMA « médicales » actuelles ? Qui va passer en priorité ?
4. Qui va financer le remboursement de la PMA sans père ? Au détriment de quels traitements ? Ou d’une aggravation du trou de la sécurité sociale que nous léguons aux générations futures ? La médecine doit-elle s’occuper de personnes non malades et devenir prestataire de services de tous les désirs ?
5. Quels projets vont suivre ? Pourquoi commencer par la PMA sans père ? L’émotion devant la souffrance de ces femmes, qui ne peuvent pas avoir d’enfants de par leur situation, est agitée pour préparer quoi ? De nombreux articles de journaux et séries télévisées promeuvent la GPA, Gestation pour autrui, soit les mères porteuses, laquelle est un véritable esclavage des femmes pauvres par de riches occidentaux. Cela nous montre que l’objectif suivant, « quand la société sera prête à l’accepter », est la GPA. Mais aussi réellement une « PMA pour tous », c’est à dire aussi pour des couples fertiles à qui on proposera comme cela se fait déjà aux USA, de choisir grâce à la PMA telle caractéristique chez l’enfant ou d’en éviter telle autre. Ce sera un eugénisme légal et libéral ; pour enrichir qui ? Et si « le résultat » ne correspond pas à la commande, que devient l’enfant ?
6. Quelle place restera-t-il pour la relation sexuelle conjugale source de fécondité ? Un enfant n’est-il le fruit que d’une fécondation technique ? Est-ce que la PMA ne transforme pas la procréation en production technique ? Des recherches portent déjà sur un utérus artificiel.
C. Y a-t-il eu débat ?
7. Qu’a-t-on fait des conclusions des États généraux de la bioéthique qui montraient la réticence de la majorité des intervenants ?
8. En posant ces questions, sommes-nous homophobes ? Pour tuer le débat, nous remarquons que ceux qui s’interrogent sont taxés d’homophobie. On voudra aussi renvoyer l’Église à ses seuls problèmes internes pour la faire taire. Mais il est impossible de dénier la parole à un groupe social reconnu pour ses convictions religieuses ou philosophiques à moins de contribuer à un déni de démocratie. L’accompagnement par l’Église de tant de souffrances engendrées par notre société en ses choix éthiques, et sa passion pour la vie, me pousse à prendre la parole. Quant à ses difficultés propres, l’Église ne craint pas de prendre les mesures à la hauteur des défis comme en témoigne ma lettre « Pour une Église déterminée. »
9. Comment « se manifester » ? Le cardinal André Vingt-Trois en 2012, avait appelé avec finesse les catholiques à “se manifester”. Certaines associations ont appelées à une journée de mobilisation le 6 octobre prochain à Paris.
Chaque catholique doit d’abord former sa conscience sur ces sujets de société, par une étude personnelle, et non se laisser manipuler par une campagne médiatique. Je souhaite par ces questionnements y contribuer, et vous invite à lire les textes indiqués.
Ensuite chacun est libre de choisir son moyen d’action politique. La manifestation pacifique est un moyen légitime dans une démocratie. Interpeller nos députés et notre sénatrice me semble aussi important. Nous les connaissons, et savons que la marchandisation du corps leur pose question.
En guise de conclusion, la dixième question : est- ce une cause perdue d’avance ?
Je sais bien que le gouvernement disposera sans doute d’une majorité parlementaire pour faire passer son texte. Mais je sais aussi qu’il n’y a pas de meilleure formation pour les générations futures qu’elles puissent se poser ces questions éthiques. Et je constate que la France est le seul pays où ces débats de qualité ont lieu. Cela nous dit quelque chose de la vocation de notre pays. Cela nous met dans l’espérance. Pâques nous l’offre chaque année : la vie l’emporte toujours sur la mort. Prions pour notre pays, prions pour nos dirigeants.
Mgr Xavier Malle, évêque de Gap (+Embrun), en la fête de la Nativité de Marie, le 8 septembre 2019.